NDLR. Vous retrouverez désormais dans cette section tout mon argumentaire relatif à l'enquête sur le naufrage de l'Empress of Ireland. Les lecteurs en auront toujours la dernière version en ligne. Les modifications éventuelles seront identifiées afin de bien les situer dans son évolution.
Le eBook publié en juin 2016 a été retiré depuis
pour des raisons techniques. Son titre, "Empress of Ireland, le vrai coupable" a
été modifié pour cette édition en "Empress
of Ireland, vers le vrai coupable". C'est
moins affirmatif mais plus invitant à développer sa
propre opinion!
Mise en ligne de cette page : 5 mars 2017
Dernière mise à jour : 5 mars 2017
Ce document raconte une enquête et une recherche de plusieurs années sur le plus grand naufrage de l'histoire du Canada en temps de paix. Avec une rigueur systématique, Jean-Pierre Fillion analyse les témoignages, les références ainsi que le rapport de la commission d'enquête, afin d'avoir une image complète de l'autre version des faits que nous connaissons depuis le naufrage de l'Empress of Ireland survenu en mai 1914.
C'est est un véritable rapport d'enquête. Jean-Pierre a fait un excellent travail de recherche et d'analyse avec toute l'objectivité nécessaire afin de se faire une meilleure idée de ce qui a pu se passer cette nuit fatidique du 29 mai 1914.
À titre d'exemple, suite au naufrage, une commission royale d'enquête, dont l'impartialité est maintenant mise en doute, avait blâmée sévèrement le premier officier Alfred Toftenes pour ne pas avoir réveillé son capitaine malgré le brouillard. Mais étrangement, il a été complètement blanchi par une enquête norvégienne.
On ne saura probablement jamais ce qui s'est réellement produit, mais on sait que le Storstad, ce charbonnier norvégien qui a percuté l'Empress of Ireland, avait recueilli la majorité des 420 survivants de cette catastrophe.
Si
le brouillard finit toujours par se lever sur le Saint-Laurent, ce document
le dissipera un peu plus sur cet épisode tragique de notre histoire.
Stéphan
Parent
Cinéaste documentariste
J’ai été directeur du Musée de la Mer de Pointe-au-Père, auteur de deux pièces de théâtre, d'un document historique, d'animations web et de conférences sur le sujet. J’ai eu le temps à souhait de développer mon opinion quant aux circonstances de cette tragédie, aux manœuvres des deux navires et aux témoignages subséquents à la commission d’enquête. J’ai aussi été témoin à plusieurs reprises de malaises lorsque je mettais la version du Storstad en évidence. C’était comme si on ne voulait pas savoir.
Je ne suis ni historien professionnel, ni spécialiste de l’histoire de l’Empress. J’invite ceux qui prétendent être l’un ou l’autre à appuyer mes arguments ou à les réfuter. Dans ce dernier cas, ils devront fournir des preuves incontestables, sinon inutile de s’y frotter, le doute subsistera… De plus, je ne suis qu’un amateur du monde maritime et un néophyte en plongée. J’invite donc également tout professionnel de ces domaines à ne pas se gêner pour corriger, préciser et même contester mes propos. Enfin je ne suis ni marin ni professionnel des procédures d’enquête. Je suis simplement un amateur de navigation et de patrimoine maritime et c’est ainsi que j’ai analysé toute cette histoire et rédigé ce document.
Celui-ci contient le texte bonifié de pages web publiées depuis plusieurs années. Quant à elle la page du premier argumentaire remonte à novembre 2014. En date du 29 mai 2016, je n’avais reçu que des appuis (documentariste, chercheur, avocat...) et je n'ai lu ou vu que des avis semblables à mes propos (ingénieur maritime, plongeur...). Aucune contestation. David St-Pierre, historien professionnel, m'a fait bien part de ses réserves quant à certaines de mes positions sans pour autant me fournir assez d'éléments pour les modifier. Il admet cependant que l'enquête "n'est pas allée assez loin".
Celui de David est le plus nuancé des avis émis jusqu'à maintenant sur l'enquête canado-britannique par ceux qui l'ont analysée. Parmi les autres avis, on retrouve les termes "complot contre le Storstad", "négligence criminelle de Kendall", "corruption de Mersey" etc. Pour ma part, je me contenterai d'affirmer que l'enquête est biaisée et j'en apporte les preuves dans ce qui suit.
J’avais écrit en 1983 un résumé du livre de James Croall, Fourteen Minutes, traduit en français par Serge Proulx. Ce manuscrit, La tragédie oubliée, a été publié quelques années plus tard, sans mon autorisation. Quoiqu’il en soit il constitue une excellente mise en contexte de toute cette histoire pour quiconque ne la connaît pas déjà.
Ce document porte sur deux points principaux : d'une part les manoeuvres et le témoignage du capitaine Kendall et d'autre part l'attidude et les conclusions de la commission d'enquête.
Bonne lecture et que la vérité soit avec
vous!
Jean-Pierre
Fillion
Amateur de patrimoine maritime
L’année 2014 marquait le 100e anniversaire du naufrage de l’Empress of Ireland. De nombreuses cérémonies ont souligné le souvenir du millier de victimes de cette tragédie oubliée. Bien qu’une enquête dite officielle ait partagé les responsabilités dans cet accident maritime, plusieurs de ses aspects demeurent obscurs et nébuleux. Certains sont à ce point troublants qu’ils ne peuvent faire autrement que remettre en question la partialité même de la commission d’enquête.
L'enquête est parsemée d'approximations, de contradictions, de trous de mémoire, de demi-vérités (et de demi-mensonges), d’apparence de dissimulation de témoin, d'exagérations bref, assez d’éléments pour permettre de remettre en question ses conclusions.
Je n’affirme rien; je n’y étais pas… Je ne porte pas d’accusations; à quoi bon. Mais je pose des questions, beaucoup de questions. Trop de faits ont été ignorés lors de cette commission pour qu’on puisse affirmer qu’elle a été synonyme de justice, sinon de justesse. En toute objectivité, sans être ni « pro-Empress » ni « pro-Storstad », on n’a pas le choix d’avouer que la version la plus « consistante » est celle des marins du Storstad. Si vous décelez un quelconque parti pris dans mon constat, dites-vous qu'après 100 ans de réciproque il est peut- être plus à propos qu'on le croit. De plus, je peux me justifier en clamant que je ne fais que reproduire l’attitude de la commission d'enquête, à un tout petit détail près... sa finalité!
J’avais un peu gardé pour moi ces réserves quant aux conclusions de la commission tellement je croyais être le seul à y voir des anomalies. C'était avant l'arrivée du web!
J’appris un jour que le Site historique maritime de Pointe-au-Père (SHMP) avait refusé de collaborer au film de Stéphan Parent sur l’Empress parce qu’il proposait une vision différente de « l’officielle ». Pourtant il me semble que les deux versions sont présentées au SHMP. Peu importe, le cinéaste me confiera : « Lorsque votre business roule bien sur une version dite officielle, alors vous ne voulez sûrement pas remettre en question cette version! ». Voilà de quoi laisser perplexe.
Puis je suis tombé sur le site Facebook de Ian Kinder, un plongeur et chercheur qui a consacré des dizaines d’années à analyser les détails techniques autant des navires que de l’enquête. Il a entre autres décortiqué le rapport officiel de l’enquête, le livre de bord du précédent capitaine de l’Empress et les documents de la compagnie d’assurance Lloyd’s. Il ne fait pas que soulever de sérieux doutes sur l’enquête, il remet totalement en question ses conclusions! Il considère le capitaine Kendall comme étant le vrai responsable de la tragédie. Les résultats de certaines de ses recherches sont publiées dans Tale of two sisters, volume endossé par David Zeni, auteur pour sa part de Forgotten Empress. Ce qu’il avance est troublant, très troublant. Sur le site web de Kinder on retrouve une foule d'informations toutes aussi intéressantes les unes que les autres. On ne peut nier l'intérêt porté à l'Empress et à la commission d'enquête. C'est ainsi qu'on apprend que l'Empress of Britain, le jumeau de l'Empress of Ireland, était entré en collision avec un iceberg le 29 avril 1912, 15 jours après le naufrage du Titanic...
Enfin, voilà cet article de l’Info-UQAR (journal de l'Université du Québec à Rimouski) qui surgit dans mon moteur de recherche et qui fait état de la visite récente de deux chercheurs norvégiens à Pointe-au-Père, Harald Breievne et Atle Johnsen. Ils ne ménagent pas leurs mots sur la commission, après la découverte du journal intime du capitaine Andersen.
Je me suis alors remémoré mon passé au Musée de la Mer, où mes opinions « pro-Storstad » n’étaient pas bien vues par les administrateurs. J’ai commencé à me demander si une espèce d’omerta collective ne s’était pas installée implicitement dans les esprits pour perpétuer l’image de ce « splendide et valeureux paquebot coulé par un sale charbonnier étranger ».
Voilà les circonstances qui m’ont amené à débuter ces argumentaires. Il n’est pas question ici de refaire l’histoire mais bien de tenter d’établir qu’il y a quelque chose qui sonne faux dans toute cette affaire. Mon intention est claire : démontrer « hors de tout doute raisonnable » (*) que trop de faits ont été ignorés ou minimisés pour pouvoir affirmer que la commission a rendu un verdict juste et loyal, exempt de toute suspicion.
Il m’apparaît important que le respect qu’on doit aux victimes et à leur famille soit enfin libéré de ces non-dits centenaires. Et si cela peut contribuer à enterrer cette fausse affirmation du classique et tendancieux « paquebot coulé par un charbonnier »…
En gros, lorsqu’on analyse sérieusement les témoignages des marins de l’Empress, et en particulier celui du capitaine Kendall, on ne peut faire autrement que constater de sérieuses divergences avec la réalité. Ces témoignages ne sont pas appuyés par les faits. Ils sont contredits par ceux des marins du Storstad, qui sont eux d’une évidence trop imposante.
(*) Un collègue avocat m'a fait remarquer que la notion de « doute raisonnable » s'applique seulement en matière de justice criminelle. Je la maintiens tout de même pour mon analyse, ne serait-ce que parce qu'une autre notion de même catégorie, celle de « négligence criminelle », pourrait être en cause...
Deux attitudes sont alors possibles. La première nous fait accepter sans sourciller la version de la commission d’enquête. Ça ne met personne mal à l’aise, ça ne remue rien. Ça n’affecte pas la réputation du capitaine Kendall ni celle de la compagnie Canadien Pacifique. Ça ne remet pas en question la fiabilité technique de l’Empress. Tout est beau alors pourquoi ne pas continuer ainsi?
La seconde attitude est plus pragmatique : on questionne et relie les faits, les contradictions, les omissions de la commission. On ne se laisse pas berner par ce qui peut nous apparaît une entreprise très sérieuse, mais qui peut dissimuler un parfait simulacre d’enquête. On accroche sur tout ce qui ne tourne pas rond dans cette histoire. On ne craint pas de mettre un peu d’embrouille dans ce beau paysage historicotouristique. Certaines personnes refusent en effet d’accepter sans sourciller une seule version de la tragédie et les conclusions de la commission. Surtout si on se met à fouiller un peu plus dans ses tenants et aboutissants. Les victimes de cette tragédie méritent mieux que des hommages posthumes sans soucis de la véritable cause de leur malheur. Ils méritent la vérité, parce qu’il devient de plus en plus évident que la commission n’a peut-être pas tout fait pour la faire ressortir.
Voici donc quelques-uns de ces faits et hypothèses qui méritent une réflexion, une sérieuse réflexion. Peut-être n’est-ce pas la première fois qu’on soulèvera toutes ces questions, alors ce petit rappel aura au moins le mérite de les ramener dans l’actualité.
R.M.S. Empress of Ireland
Propriétaire : Canadien Pacifique
Type : paquebot transatlantique
Tonnage : 14 000 tonneaux
Longueur : 550 pieds (184 m)
Route : Québec <=> Liverpool
S.S. Storstad
Propriétaire : Klaveness
Type : cargo vraquier (charbon)
Tonnage : 6 000 tonneaux
Longueur : 440 pieds (134 m)
Route : Sydney (N.E.) <=> Montréal
Rappelons succinctement les deux versions de la collision.
Kendall prétend que son navire filait en droite ligne et que le Storstad a viré pour venir le percuter.
Toftenes, officier du Storstad, affirme au contraire que c’est l’Empress qui, par une série de zigzags, s’est retrouvé dans le chemin du Storstad.
Dans le texte qui suit, pour faciliter la lecture, tout comme James Croall sans son Fourteen minutes (traduit par le rimouskois Serge Proulx), j’utiliserai également le terme gauche au lieu de bâbord et droite au lieu de tribord. Les illustrations ont été ajoutées non pas pour reproduire exactement les situations mais pour en permettre une meilleure compréhension; les virages, les angles et les distances peuvent avoir été modifiées.
Les feux de navigation et leur interprétation étant des éléments-clés dans cette histoire, il convient de rappeler leur fonction.
Tout grand navire est habituellement équipé de deux types de feux de navigation. D’une part les feux de tête de mât, blancs, visibles de l’avant, le feu du mât avant plus bas que le feu du mât arrière. D’autre part les feux latéraux de couleur, le rouge à gauche et le vert à droite.
Les feux latéraux de couleur sont visibles de face, mais seul le feu rouge apparaît si le navire présente son côté gauche et le seul feu vert apparaît lorsqu’il nous présente son côté droit. Le code lumineux est ainsi fait pour que sa lecture et sa signification ne puissent pas porter à confusion.
Juste avant la brume, selon les Norvégiens, l'Empress affichait un feu rouge et le plus bas des feux de tête mât était à gauche.
La compréhension du compartimentage de l'Empress peut aider à celle de son naufrage.
Le paquebot était construit selon le "principe des deux compatiments". Ce principe du constructeur voulait en effet que le navire puisse flotter même si deux de ses onze compartiments étaient remplis d'eau.
Cela impliquait évidemment que les 24 portes de chacune des 10 cloisons étaient fermées. Nous verrons plus loin pourquoi ce ne fut pas le cas pour l'Empress.