DOSSIER Empress of Ireland
Analyse de l'enquête canado-britannique
sur le naufrage de l'Empress of Ireland
Presque un an après avoir entrepris l'analyse de l'affaire Empress of Ireland j'ai obtenu le lien des archives web de l'enquête et du rapport d'enquête. Je croyais en avoir terminé avec ce dossier mais je n'ai pas eu le choix de lire le document au complet si le voulais vraiment savoir de quoi je parlais!
Dans l'ensemble cette lecture a confirmé mes opinions, précisé mes questions et m'a fait découvrir d'autres faits tous aussi troublants que ceux rapportés dans ma première analyse.
Par exemple j’ai été agréablement surpris de constater que je n’avais pas la paternité que je croyais avoir sur deux constats majeurs, à savoir 1) la véritable raison de cet arrêt d’urgence de Kendall dans la brume alors que tout paraissait si bien aller quelques instants auparavant et 2) que la seule raison applicable à cette manœuvre extraordinaire était la panique de Kendall. En effet, lors de sa plaidoirie (que je n’avais jamais lue en intégrale auparavant!) l’avocat Haight a apporté les mêmes remarques, dans ses mots, et 100 ans auparavant!
Voici donc les éléments de l'enquête et du rapport d'enquête qui alimentent le doute, sinon la certitude, que la commission n'a pas produit un rapport qui tenait compte de tous les faits. Plusieurs de ces notes recoupent mon argumentaire précédent.
Ils sont puisés à même les archives officielles, donc de première source. Ils permettent de constater d'innombrables apparences ou certitudes de lacunes dans la l'intégrité et l'équité de l'enquête : mandat tronqué, règles et consignes de sécurité banalisées, allégations non-fondées, influence et acharnement sur témoins, preuves absentes, affirmations contredites, réalité occultée, règle internationale transgressée, interventions partisanes, négation d’éléments-clés, postes stratégiques non occupés, inspections incomplètes, opinions inappropriées, exagérations, mauvaise foi et erreurs d’interprétation.
Tous ces notes en défaveur du Storstad. Quand tout est mis en branle par une enquête officielle pour écraser une partie au profit d'une autre on comprend pourquoi tant de gens pensent que les dés étaient pipés d'avance.
Si dans ma première analyse j'utilisais beaucoup l'interrogatif dans mes formulations, force m'est de constater que l'affirmatif l'a remplacé dans la seconde, tellement je suis désormais profondément persuadé que la commission d'enquête britannique a falli. Voici pourquoi.
Le texte sur fond beige provient des archives mêmes, le tout étant référencé à la page. Mes commentaires suivent. Chaque extrait est précédé par son sujet principal.
Cliquez sur les liens pour ouvrir les sections.
Notes
Il s’agit de la version française. Il semble y avoir soit des erreurs de traduction, soit des erreurs de transcription car les réponses ne coïncident pas toujours avec les questions. Certains mots manquent parfois et d’autres portent à confusion.
Il manque aussi le visuel (impossible à bien rendre à cette époque) des cartes, croquis et autres éléments graphiques qui aideraient à mieux comprendre certains témoingnages.
Lorsqu’on cite une page ou un numéro de question, cela renvoi à la version transcrite du moment. La présente version archivée comporte une pagination et une numérotation des questions différentes.
Il faut également prêter attention aux termes bâbord et tribord utilisé pour décrire le mouvement de la roue du gouvernail. En effet, pendant toute l’enquête on décrivait alors la terminologie de l’époque : pour faire tourner le navire à tribord (droite) on mettait la barre à bâbord (gauche). Cette méthode fut abandonnée dans les années suivantes. Aujourd’hui pour tourner à tribord, on demande la barre… à tribord.
On parle également de feux verts (au pluriel) et de feux rouges (au pluriel) ce qui peut porter à confusion si les compare aux feux de tête de mats. Si les feux de têtes de mats sont distancés, puisqu’ils sont sur deux mats différents, les deux feux verts sont immédiatement un au-dessus de l’autre, dans le même support, le feu supérieur s’appuyant sur le feu inférieur. Une telle installation a fort probablement pour but de rendre le feu plus visible et de palier à la panne d’un des deux. Même chose pour les feux rouges. Pour éviter toute confusion, on devrait dire feu vert et feu rouge au singulier.
Mes commentaires pourront para�tre en faveur du Storstad. Ils le sont. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont pas objectifs. Tout comme ma premi�re argumentation, je d�fie quiconque de contester la mienne, � la seule condition d'apporter des preuves solides.
Il est peut-�tre hasardeux de ne lire que quelques pages seulement des archives. Tous les interrogatoires s'inscrivent dans un contexte que seule une lecture compl�te permet de bien saisir. J'invite donc toute personne qui d�sire contester mes commentaires de faire d'abord un exercice semblable au mien, soit la lecture compl�te des archives.
Pilote
On indique que l’Empress était « sous la direction du pilote de Québec, Camille Bernier. » (p. 7)
C’était Adélard Bernier.
But de l'enquête
L’enquête avait été instaurée pour trouver les causes immédiates au naufrage, «… mais encore pour en découvrir les causes les plus lointaines, s’il en est. » (p. 8)
L’enquête a en effet remonté aux causes lointaines, soit la construction et les équipements de l’Empress, et immédiates, soit les manœuvres dans la brume, mais ne s’est nullement étendue sur les causes mitoyennes, soit le virage vers le large de l’Empress après avoir croisé la route du Storstad.
Règlement du C.P.
En parlant des règlements de la compagnie Canadien Pacifique concernant la conduite par temps de brume, Lord Mersey déclare : « Je ne crois pas qu’il importe beaucoup que vous lisiez ces règlements ». (p. 13)
Il est clair que Kendall n’a pas respecté ces règlements; est-ce pourquoi Mersey ne tient pas tant que ça à les lire...?
Consignes du C.P. à ses capitaines
On produit une copie de la lettre datée du 9 mai 1914 du gérant des services océaniques au capitaine Kendall : « Qu’il soit distinctement entendu que, pour vous, la direction sûre du navire doit, en toutes circonstances, passer avant tout autre chose. Vous ne devez courir aucun risque qui, par un hasard quelconque, pourrait provoquer un accident… ». (p. 28)
L’expression « hasard quelconque » est assez significative. Un navire entrant dans un banc de brume vers lequel on se dirige est bien plus qu’un hasard quelconque. Kendall a-t-il vraiment pris cette note au sérieux?
Manoeuvres désespérées de Kendall
Quelques secondes avant la collision Kendall ordonne de virer à droite et de faire machine avant toute.
(p. 32)
Ces ordres de dernière seconde ne sont pas dénués de sens. Cela tend à prouver que Kendall était un habile marin, aux réflexes rapides et précis. En temps normal, bien entendu. Ces manoeuvres étaient brillantes en soi mais sans aucune chance de réussite, presque futiles dans les cirsonctances.
Il devait donc avoir une parfaite connaissance des conséquences éventuelles de toutes ses manœuvres. Il devait avoir une confiance absolue dans ses capacités de marin.
L’ignorance n’est donc pas acceptable comme raison profonde de ses actes. Il savait exactement ce qu’il faisait, ce qui fait d’autant plus ressortir la témérité de ses décisions. Il a pris un risque, plus ou moins calculé, et il a perdu.
Transmission d'ordres
Kendall témoigne : « Ensuite je donnai l’ordre de stopper les machines et de fermer les portes de la cloison des compartiments étanches… » et il répond « oui » à la question de savoir s’il a transmis cet ordre par le porteur d’ordres à la salle des machines? (p. 34)
Le documentaire de David Greener, dans une séquence de plongée montrant le transmetteur d'ordres bâbord de la salle des machines, démontre que c’est faux.
Direction de l'Empress lors de la collision
Kendall répond à la question à savoir si la direction de l’avant de l’Empress était au sud-est au moment du naufrage : « Je sais qu’il était alors dans une bonne position, si nous avions eu la vapeur nécessaire pour l’échouer… » (p. 35)
Par rapport à sa position au fond, l’Empress aurait donc pivoté de… 90 degrés en coulant? Cela apparaît fort peu probable.
Critiques publiques envers Kendall
M. Aspinall note : « Un journal a publié certains rapports critiquant la conduite du capitaine Kendall… » Mersey intervient : « Je n’aime pas à prêter attention aux rapports hostiles publiés par les journaux; il vaut mieux n’en faire aucun cas. » (p. 39)
Doit-on conclure que pour Mersey tout ce qui critique le capitaine Kendall lui est « hostile » par définition?
Raison de l'arrêt d'urgence
Haight demande au deuxième officier, Edward
Jones, qu’est-ce
qui obligeait l’Empress de faire vapeur arrière jusqu’à ce
qu’il soit complètement immobile dans l’eau. L’officier
répond : « vérifier le point de l’autre
bateau avant d’avancer le moindrement avec mon vaisseau. » (p.
124)
Les vérifications n’avaient-elles pas supposées avoir été faites à maintes reprises auparavant, à la satisfaction du capitaine Kendall? Pourquoi a-t-on dû faire cette manœuvre peu ordinaire alors que le règlement ne demande qu’un simple ralentissement?
Intervention de Mersey
Newcombe demande à Jones s’il peut expliquer
un naufrage aussi rapide. Ce dernier n’a le temps de répondre « Ce
dû être le terrible… » que Mersey le coupe en
affirmant : « Je crois, monsieur Newcombe, que je puis l’expliquer. » (p.
131)
Jones n’a jamais exprimé son idée sur le sujet. Mersey tentait-il de cette manière de couper court à tout élément d’information dont il craignait l’effet négatif pour Kendall? De toute manière, ce n'est pas à un enquêteur d'expliquer des faits pendant l'enquête même.
Vigie de l'Empress
La vigie de l’Empress n’a jamais vu distinctement les feux de tête de mât du Storstad, même à quatre miles de distance. (p. 137)
Ils se trouvaient donc alignés sur l’Empress, ce qui signifie que ce dernier était dans la route du Storstad? De plus, la vigie admet ne pas avoir « prêté attention » au Storstad après l’avoir signalé. Il est invraisemblable qu’aucun supposé expert assesseur n’ait relevé ce fait car la vigie n’a qu’une seule chose à faire, soit surveiller en avant de son navire. Elle ne l’a pas fait.
Économie de temps d'enquête
Mersey interrompt Haight dans ton interrogatoire : « Je vous interromps simplement dans l’intérêt de l’économie et du temps, quoique je ne suis pas sûr d’accomplir ce que je veux. Je ne suis pas certain que j’y arrive. » (p. 151)
Mersey semble bien pressé de clore la chose…
Mouvement de l'Empress lors de la collision
Williams, chef des cabines de seconde classe, déclare qu’immédiatement après la collision « J’ai sauté du lit et j’ai regardé par le hublot; j’ai à peine vu le Storstad glisser lentement devant le hublot. » (p. 219).
Compte tenu que le Storstad ne reculait pas, est-ce donc à cause du mouvement de l’Empress (que ses officiers n'ont jamais admis)?
Mouvement de l'Empress lors de la collision
Le télégraphiste Ferguson déclare quant à lui : « Je suis allé à tribord dans la chambre de travail et j’ai vu passer les feux [du Storstad]. » (p. 223)
Un autre argument prouvant que l’Empress avançait lors de la collision.
Exercice de fermeture des portes étanches
Stanton, le surintendant du C.P. déclare qu'il avait a fallu 3.5 à 4 minutes pour fermer toutes les portes étanches lors d’un exercice à Québec le 23 mai précédent. (p. 239)
C'était pendant un exercice où il parcourait le navire de porte en porte. C'est le temps total maximal. Chaque porte prend beaucoup moins de temps, comme on le témoigna plus tard. Cela met encore plus en évidence que Kendall aurait dû respecter les consignes de sa compagnies quant à la fermeture des portes étanches.
Arrêt d'urgence et effet sur les machines
Le capitaine Murray était le capitaine précédent de l’Empress. Après qu’on ait discuté du danger pour les machines de les mettre d’avant toute à arrière toute sans pause intermédiaire, Mersey lui demande « […] mais à moins d’avoir une raison spéciale, une raison d’impérieuse nécessité, vous ne le feriez pas? » La réponse de Murray fut : « Non, monsieur. » (p. 257)
Cela confirme que l’arrêt d’urgence de Kendall n'était pas usuel et qu'il devait avoir une très sérieuse raison de le faire.
Réaction au virage du Storstad sur sa gauche
Saxe témoigne qu’il a tourné la roue à tribord toute parce qu’il sentait son navire commencer à tourner sur sa gauche. (p. 308)
S’il s’agit d’un mensonge il aurait tout aussi bien pu ajouter que la boussole avait aussi commencé à bouger. Il a pourtant admis que ce ne fut pas le cas. Peut-on y voir une preuve d’honnêteté de témoignage?
Livre de bord de la salle des machines du Storstad
La transcription des ordres et commandements, compte tenu des événements, n’a pas été immédiate du casernet vers le livre de bord de la salle des machines. La cour a sérieusement cherché à prendre en défaut l’ingénieur du Storstad, Sinhdalhsen, sur ce point, mais sans y réussir. (p. 328)
Est-ce parce que la cour n'avait vraiment pas d'autres moyens d'en arriver à ses fins que de tenter de trouver la petite faille en apparence dans les témoignages du Storstad? Elle n'a jamais fait cela pour les témoignages des gens de l'Empress.
Allégation non-fondée de Meredith
Sur le rapport d’avaries du Storstad et le lien avec les gratifications qu’aurait reçues le capitaine Andersen, Meredith, avocat de l’Empress, dit : « […] Cela démontre un motif pour faire de la vitesse… » (p. 368)
Il fut aussitôt prouvé que les gratifications n’avaient pas de lien avec la vitesse des navires, mais leur tonnage transporté. Une autre tentative de prendre en défaut l’équipage du Storstad?
Problèmes d'audition de Mersey
Sir Adolphe Routier demande à un témoin : «Y a-t-il quelqu’un que l’on charge du soin de fermer les portes étanches? » On lui répond : « Un homme qui a été sauvé et qui est à Québec. » Mersey intervient : « Ce n’est pas la question qui vous est posée. La question est : Combien d’hommes y avait-il à bord du navire, dont le devoir était de fermer les portes, lorsqu’un coup de sirène en donnait le signal? ». (p. 374)
En comparant les deux questions, n’est-il pas évident que Mersey avait quelques problèmes d’audition. Cela a-t-il affecté sa façon de comprendre les événements à travers les différents témoignages?
Influence sur témoignage
Mersey demande au surintendant du C.P. « à ce moment, les vaisseaux se barraient-ils la route de telle façon qu’ils encoururent le risque d’une collision, suivant les dispositions de l’article 19 des règlements destinés à prévenir les collisions en mer? Vous ne pouvez répondre à ceci, n’est-ce pas, capitaine Walsh? » Walsh répond : « Non, monsieur. » (p. 381)
Dans la fin de la question, voyons-nous de nouveau une tentative de dicter une réponse négative? Walsh n'était pas à bord de l 'Empress. Est-il habilité à répondre à cette question?
Partialité du pilote affecté à un navire
Haight essaie de faire un lien entre le fait qu’un pilote affecté à une compagnie, et même à un vaisseau particulier, peut développer un attachement de nature à influencer son témoignage. La commission n’a pas voulu étudier cet aspect. (p. 389)
C’est pourtant un fait bien
connu du milieu. Ceci peut aussi être valable pour le pilote du Alden mais
ce dernier n'y était pas affecté à temps plein, contrairement
à Bernier qui était au service exclusif du C.P. et affecté
è l'Empress.
Le courant
Wotherspoon, le chef plongeur, confirme que le courant va vers la rive à marée montante. (p. 411)
Il confirme ainsi les craintes exprimées par Tofteness que son navire soit rabattu vers le rivage, vers où il situait l’Empress.
Temps réel de femeture des portes étanches
Rankin, ingénieur surnuméraire, affirme quant à lui que la fermeture des portes étanches ne prend que « 30 secondes; en une minute tout au plus. » (p. 420)
Il apporte une précision très importante qui, associée à d'autres témoignages, prouve que l'Empress n'aurait pas coulé si Kendall avait respecté les consignes de sa compagnie.
Coup de sifflet de l'Empress dans ou avant la brume
Radley (aide-maitre aux manœuvres de l’Empress) affirme qu’il y a eu un long cri de sifflet un peu avant l’entrée dans la brume, contrairement à ce qu’affirme Kendall. (p. 430)
Il
y a donc contradiction entre deux témoignages de l’Empress et
cela confirme le témoignage similaire du capitaine Bélanger,
du bateau-pilote.
Présence incertaine d'une vigie de proue sur l'Empress
Une discussion entoure la présence ou non d’un veilleur au gaillard avant de l’Empress, mais la cour relègue cette information au second plan, n’y accordant pas d’importance. (p. 437)
C’est pourtant un poste significatif pour qui veut savoir ce qui se passe devant le navire…
Ignorance de l'architecte de l'Empress
Hillhouse, architecte de l’Empress, ne se souvient pas que les plan de l’Empress prévoyaient des renforcements pour éventuellement recevoir des canons. (p. 440)
Il est pourtant… l’architecte qui a fait les plans de l’Empress!
Effet des chaloupes de sauvetage sur la stabilité de
l'Empress
On parle que l’ajout de chaloupe de sauvetage a joué sur la stabilité du navire, ne serait-ce que d’un effet minime. (p. 455)
Cela a peut-être augmenté la vitesse du renversement du navire, mais il est fort à douter que ce fut significatif dans le naufrage.
Rebond du Storstad
Hillouse, l’architecte de l’Empress, contredit Kendall quant à son supposé rebond du Storstad. (p. 470)
Ce n'est qu'un exemple des contradictions entre les témoins de l'Empress.
Inspection du système de gouverne de l'Empress
Concernant une éventuelle fuite de glycérine dans le système et son effet sur la gouverne de l’Empress, Mersey répète en deux fois au témoin (Hillhouse) : « Si vous ne le savez pas, dites que vous ne le savez pas. » (p. 473)
Meredith, un des avocats de l’Empress, avait employé la même formule quelques temps auparavant. Cela se produisit à cinq ou six reprises pendant l’enquête, toujours des avocats de l’Empress ou de Mersey; est-ce une indication (ou un code!) donnée au témoin afin de produire une réponse nulle ou de ne pas répondre?
(171028 - Cela semble une pratique courante en droit, dans le but de ne pas
accumuler des réponses imprécise.)
Étanchéité du système de gouverne
de l'Empress
Parlant du système hydraulique du gouvernail, Hillhouse admet que les joints de cuir de la tuyauterie du système de gouverne peuvent produire des fuites s’ils sont âgés. (p. 475)
Or, aucune inspection de cette tuyauterie n’a été faite les jours précédant le naufrage.
Intervention partiale de Mersey
Alors qu’on questionne Hillhouse, l’architecte de l’Empress, sur la rapidité du naufrage, Mersey émet un commentaire à l’effet qu’il ne voit pas comment ce navire pouvait flotter alors qu’il s’y engouffrait 260 tonnes d’eau par secondes. (p. 477)
Peut-on y voir une tentative à peine voilée de minimiser le fait que les portes étanches n’étaient pas toutes fermées, comme le demande la directive de la compagnie?
Approximations de Hillhouse
Haight a confronté Hillhouse, l’architecte de l’Empress, quant à l’angle de la collision. Ce dernier admet que son angle de 80 degrés ou plus, tel qu’affirmé par Kendall, est approximatif. (p. 483)
De plus, il ne dispose d’aucun élément de preuve appuyant ses calculs. Reid, l’expert de Haight, a cependant calculé quant à lui un angle moitié moindre, soit 40 degrés. Il l’a fait d’après ses observations des traces de contacts sur la coque même du Storstad. Son estimation s’avère donc basée sur des faits plus probants. Il ne faut cependant pas se surprendre qu’un angle de 40 degrés concordent parfaitement avec la version de l’accident des marins norvégiens.
Routes habituelles de sortie de Pointe-au-Père
Lorsqu’on s’interrogeait sur la route habituelle suivie par les navires, Kendall a fait remarquer que certains capitaines passaient à 1 mille de la bouée de l’Anse-aux-coques, d’autres plus prudents à 2 milles et que lui est passé à 3 milles. (p. 487)
Ça ressemble à une extrême prudence. Mais on oublie qu’il y avait aussi le Storstad…
On s’est longuement attardé à tenter de démontrer que la route suivie par l’Empress au départ de Pointe-au-Père était celle que suivait habituellement tous les capitaines. Mais jamais on n’a discuté s’il s’agissait la route habituellement suivie lorsqu’un autre navire remontait le fleuve, ce qui présente une situation fort différente.
Intervention partiale de Mersey
Mersey réplique à Reid, ingénieur témoin pour le Storstad : « Mais de la façon dont vous parlez, il semble que ce soit l’Empress qui a causé ces dégâts sur le Storstad - n’est-il pas plus vrai de dire que les dégâts furent causés par le Storstad sur lui-même en se jetant sur l’Empress? » (p. 515)
Sa formulation n’annonce-t-elle pas déjà l’orientation de ses conclusions?
Impact sur la cloison étanche
L’ingénieur Reid, témoin pour le Storstad, en se basant sur le numéro de chambre trouvé sur la proue du Storstad, ne croit pas que la collision ait endommagé la cloison entre les deux chambres des chaudières. (p. 518)
Cela amène à penser qu’un seul compartiment a été noyé, ce qui accentue la gravité de ne pas avoir fermé les portes étanches à temps.
Mouvement de l'Empress lors de la collision
Par ses preuves relevées sur la proue endommagée du Storstad, Reid conclut également que l’Empress devait être en mouvement lors de la collision. (p. 520)
Il ne fait qu'appuyer tous les autres témoignages allant dans ce sens.
Gouvernail de l'Empress en fonction de sa poupe
Reid estime que le gouvernail de l’Empress, malgré sa modification, était encore trop petit, compte tenu de la forme particulière de sa poupe. (p. 522)
Aucun argument de la partie adverse n'est venu contredire cette affirmation. Aspinall a bien tenté de démontrer que d'autres navires aussi gros que l'Empress avaient un gouvernail de taille semblable, mais n'a jamais inclu la forme de la poupe dans son raisonnement.
Intervention partiale de Mersey
Reid en conclut que l’effet de la collision était mutuel, que les deux navires se sont enfoncés l’un dans l’autre. Mersey réplique immédiatement : « Non, l’Empress n‘a pas fait cela. » (p.526)
Un chef enquêteur peut-il se permettre d’émettre une telle opinion pendant l’enquête? Un autre indice de sa partialité?
Exag�ration
Aspinall conclut que la cause de la collision est le virage à droite et à droite toute de l’autre vaisseau. (p. 559)
Ce qui a viré à droite et droite toute, ce n’est pas le navire mais uniquement le gouvernail… nuance majeure.
N�gation du r�glement
Il demande d’exclure la portée du règlement 19 (qui indique les manœuvres à exécuter en risque l’abordage) parce que, peu importe que le passage fut vert-vert ou rouge-rouge, la distance était selon lui suffisante. (p. 561)
La suite a prouvé le contraire. Ce n’est qu’un exemple de ses nombreuses tentatives de se soustraire aux procédures et règles normalement suivies en mer. Afin de minimiser les erreurs de Kendall?
Exag�ration
Parlant du fait qu'un marin du Storstad dit que son navire avançait au moment de la collision, il qualifie cela "d'aveu remarquable". (p. 571)
Ce n'est en aucune façon un aveu! C'est un simple témoignage, allant dans le même sens que tous ceux de ses camarades.
Mauvaise foi
Parlant du Storstad remplace toujours le terme « allait de l’avant » par « faisait de la vitesse », peu importe s’il cite les témoins norvégiens ou anglais. (p.570-571)
Que ce soit une utilisation stratégique ou malicieuse de cette expression, elle n'en demeure pas moins complètement fausse.
Erreur d'interpr�tation du juge en chef
Le juge McLeod conclut des témoignages du Storstad qu’après avoir arrêté dans le brouillard on a ordonné de le faire aller en avant toute. (p.571)
C'est faux et Aspinall sera obligé de rétablir les faits.
Sans r�ponse...
En parlant des trois bancs de brouillards rencontrés par l’Empress, le dernier étant fatal, Mersey utilise le terme « danger d’un danger » sans savoir exactement ce que cela signifie. (p. 577)
On ne saura jamais de quoi il parle...
N�gation de l'effet du courant
Il réduit ainsi l’importance du courant : « … si un navire est dans le courant, l’autre navire s’y trouve probablement aussi. » (p. 574)
C’est une explication tout à fait simpliste de l’effet d’un élément majeur dans la navigation; les deux navires peuvent être dans deux courants différents et un même navire peut se trouver à cheval sur deux courants différents (ce qui peut même amener des changements brusques de direction).
Autre invention d'Aspinall
Aspinall affirme que le chef mécanicien du Storstad avait révisé le livre de bord des machines pour une simple raison d’orthographe. (p. 584)
Il invente des déclarations de témoins.
Positions nuanc�es
Il n’admet pas de faussetés délibérées dans les versions, comme l’a fait Aspinall, mais prétend qu’une des deux est dans l’erreur. Il affirme aussi que les deux navires ne peuvent être blâmés conjointement et donc qu’un seul doit l’être. (p. 589)
Il ne parle pas de faussetés et ne tente pas de soustraire quoi que ce soit à l'enquête.
Argumentation fond�e
Il met sérieusement en doute les qualités de direction de l’Empress en apportant plusieurs témoignages à l’appui. (p. 590)
Ces arguments n'ont été que très faiblement contestés par l'autre partie.
R�plique � Aspinall
Il met à mal la théorie d’Aspinall qui supposait que les quelques pépins connu du gouvernail de l’Empress étaient dû à un problème d’engrenage mais il les attribut au système hydraulique lui-même. (p. 592)
Cette théorie était, il faut le dire, tout à fait simpliste et n'a jamais été confirmée par un spécialiste.
Intervention partisane de Mersey
Lorsqu’il estime que Galway a dit la vérité, Mersey le réprimande : « C’est contraire à tout précédent pour un avocat de dire sa conviction personnelle en ce qui concerne la véracité d’un témoin. » (p. 594)
Pourtant Aspinall ne s’est-il pas gêné pour affirmer que certains témoignages en faveur du Storstad étaient faux? Mersey ne s’en est jamais offusqué.
R�flexion sur l'arr�t d'urgence de l'Empress
Haight soumet une réflexion fort importante : « Pourquoi le capitaine Kendall, ayant d’après son récit, un navire à un point à son bossoir de tribord et à deux milles, ou d’après le récit de Jones, deux ou trois points à son bossoir de tribord, et à trois milles – pourquoi, dans ces circonstances, avec les navires vert à vert, et les feux de ce navire encore visibles dans le brouillard, le capitaine Kendall a-t-il eu recours à la manœuvre extraordinaire de faire machine arrière à toute vitesse? (p. 594)
Aucune réponse plausible n’a été donnée à cette question et aucune réponse ne peut être donnée si on accepte la version de l’Empress. La réponse à cette question se trouve de manière évidente dans la seule version du Storstad : l’Empress était dans la route du Storstad!
Tentative de distraction par Mersey
Mersey l’interrompt immédiatement en lui demandant s’il avait fini son argumentaire avec Galway (p. 594)
La question précédente semble vraiment embarrassante pour Mersey...
Panique de Kendall
Haight attribut cet arrêt soudain, très risqué pour l’intégrité de la machinerie, à un défaut de l’appareil de gouvernail. (p. 586)
Cela appuierait davantage la thèse d’une panique de Kendall que le seul fait de s’être rendu compte de la témérité de sa navigation. Mais rien ne le prouve.
Franchise des Norv�giens
Il argumente que les témoignages des hommes du Storstad à l’effet d’avoir tourné leur gouvernail à droite est assez incriminant, mais qu’ils l’ont fait tout de même. Il leur attribut de ce fait une vérité difficile à contester. (p. 600)
Il poursuit en insistant que les témoignages de tous les hommes du Storstad se corroborent, il en conclut que seul un génie aurait pu inventer une telle version et faire en sorte qu’elle soit unanime à travers autant de témoignages différents.
Génie du mensonge
Parlant du fait que Aspinall considère que les témoins du Storstad ont menti, Haight rétorque que celui qui réussira à fabriquer une telle histoire et la faire réciter de telle manière serait un véritable génie. (p. 600)
Cela porte à réfléchir sur trois options possibles sur les témoignages des Norvégiens : ils ont menti, ils se sont trompés ou ils ont raison.
S'ils avaient menti, peut-on penser raisonnablement qu'ils auraient été assez imbéciles pour conserver dans leur témoignage le fait d'avoir mis la barre à droite, puis totalement à droite? Non, bien sûr. Un aveu aussi incriminant aurait été retiré.
Ils ne peuvent s'être trompés de manière identique sur la même observation. On voit ou on ne voit pas le feu rouge d'un navire. On voit ou on ne voit pas les feux de mat distancés d'un navire. Ils étaient compétents, ils ont observé très attentivement et ils les ont vus.
Il ne reste qu'une seule option : ils ont raison et leur témoignage reflète fidèlement la réalité.
Les gens de l'Empress, Kendall en premier, n'a jamais rien avoué. Il faudra d'autres témoignages, des recoupements et d'autres faits pour démontrer qu'il s'était trompé. Jamais on a eu recours à d'autres témoingnages pour découvrir que la barre du Storstad avait été virée à droite; les gens du Storstad l'ont révélé d'eux-mêmes.
Critique du livre de bord de l'Empress
Haight repousse les critiques envers le livre de bord du Storstad, dont certains éléments ont été ajoutés quelques temps après les faits. Il remarque que le journal de bord de l’Empress, aussi rédigé quelques temps après le naufrage, ne mentionne même pas les deux bancs de brume précédant le banc fatal pas plus qu’il parle de l’arrêt d’urgence dans la brume. (p. 602)
Personne n'a osé répliquer à cette attaque.
Contradictions sur les signaux sonores de l'Empress
Haight énumère les témoignages, autant du Storstad que de l’Empress, qui affirment, contrairement à ce que jure Kendall, que l’Empress a émis un ou plusieurs coups uniques de sifflets prolongés avant les séries de trois coups groupés (trois longs, trois longs, trois courts, trois courts). (p. 604)
Un coup unique prolongé est le signal de tout navire dans la brume qui signifie : je continue en route avant. Cela signifie que l’Empress ne s’est pas arrêté, comme le prétend Kendall, avant la brume mais bel et bien une fois entrés dans celle-ci.
Questionnement sur la fiabilit� du syst�me de gouverne de l'Empress
Il s’interroge sérieusement sur le fait qu’après l’inspection à Québec on ait dû pomper le système de gouverne pendant 10 minutes pour redonner la quantité requise de fluide dans ses tuyaux et que le responsable de l’inspection du système ne savait même pas où passait la tuyauterie, d’où l’impossibilité d’en faire l’inspection complète. (p .592)
Comment alors pouvait-on garantir la qualité et la fonctionnalité du système?
Contradictions sur les signaux visuels vus de l'Empress
Il note que Kendall est le seul à avoir vu le feu vert du Storstad avant la brume. Ni la vigie, pourtant mieux située, ni le premier officier Jones, avec ses jumelles, ni le troisième officier, ni le timonier, ni le quartier-maître ni personne d’autre sur la passerelle ne l’ont vu. (p.612)
Aucune explication n'a pu être donnée de cet étrange fait.
Strat�gie n�gative
Aspinall continue à tenter de miner la crédibilité des témoins qui ne font pas son affaire. (p. 621)
Il n’apporte rien de nouveau et d’utile pour appuyer son propre point.
Accusation de fabrication de faux document
Il lit un extrait du livre de bord du Storstad, rédigé quelques heures après la collision. (p. 622)
Il faut noter que l’extrait est assez précis et détaillé, à tel point qu’Aspinall considère son contenu comme faux.
�trange remarque de Mersey
Mersey émet une autre opinion à l’effet qu’il aurait été plus utile que les hommes aillent aux chaloupes plutôt qu’ils ferment les portes étanches. (p. 630)
Une autre manière de passer sous silence le fait qu’elles n’aient pas toutes été fermées?
Il apparaît logique que les deux avocats aient plaidé pour leur cause. Mais là s’arrêtent déjà les comparaisons.
Aspinall a maintes fois dénaturé les témoignages favorables au Storstad ou en a suggéré des interprétations parfois totalement fantaisistes. Il a demandé à plusieurs reprises que tel ou tel élément soit ignoré par la cour, allant m�me jusqu'� sugg�rer de ne pas tenir compte du r�glement sur les abordages en mer alors que toute l'affaire porte justement sur un abordage en mer. Bien entendu tous ces �l�ments �taient d�favorables à l’Empress. Aspinall pense que les Norvégiens mentent.
Par contre, Haight y est allé avec des preuves, des faits, des témoins experts très précis et articulés, sans jamais tenter plus ou moins subtilement de suggérer à la cour une manière de penser. Haight pense que les Britanniques se trompent.
Outre le style personnel de chacun on peut d�duire de ces strat�gies la solidit� de leur cause. L’attitude de chacun est révélatrice. Bref, Haight avait une base à sa plaidoirie alors qu’Aspinall n’en avait pas l’ombre d’une.
Newcombe �tait sous-ministre des pêcheries et responsable des procédures de la commission. Ses commentaires sont très sévères envers Kendall sous les trois points majeurs de l’événement, soit la trop grande proximité de la route de l’Empress à celle du Storstad, l’arrêt d’urgence dans le brouillard et l’absence de mesures pour la fermeture d’urgence des portes étanches. De toute évidence, ces commentaires n'ont pas été considérés par la cour.
Franchise des Norvégiens
« Si leur intention eût été d’inventer un récit à leur avantage et s’ils se sont présentés ici, comme on l’a laissé entendre, pour induire les juges en erreur avec de faux témoignages, ils se seraient abstenus de mentionner le fait que le barre avait été mise à bâbord. En faisant cette déclaration, ils ont fourni à leurs adversaires une arme contre laquelle il leur sera peut-être impossible maintenant de se défendre ». (p.625)
Newcombe, écorchant au passage la prétention d’Aspinall que les Norvégiens avaient menti, étale l’évidence : leur franchise et la gravité de leur déclaration.
Empress beaucoup plus près
« En suivant les témoignages, le Storstad se trouverait à un demi-mille au sud, et jamais le Storstad en mettant à bâbord, ou à bâbord toute, ne pouvait parcourir cette distance et arriver si au nord. Cela ne pouvait jamais se faire; je dis que cela est absolument certain. […] Les navires ont dû se trouver très près de l’autre en pénétrant dans le brouillard.» (p.626)
Il appuie la thèse que l’Empress était beaucoup plus près de la route du Storstad que l’a indiqué le capitaine Kendall.
Arrêt irréfléchi
Parlant de l’arrêt d’urgence de Kendall dans la brume, Newcombe déclare « Il convient de se demander si ce n’était pas là de sa part, dans les circonstances, une manœuvre irréfléchie et inattendue. » (p.627)
Il cite ensuite l’article 16 du règlement de navigation maritime. Newcombe insiste sur le fait que ce règlement demande de ralentir, et non de stopper.
Banalisation de règles internes
Mais l’accident n’aurait certainement pas pu se produire si l’Empress n’avait pas adopté cette manœuvre extraordinaire de changer sa marche et d’arrêter au moment où le Storstad approchait. (p. 628)
Peut-on être plus clair?
Banalisation de règles internes
Newcombe poursuit en citant le règlement du C.P. sur l’obligation de mesures à prendre pour la fermeture immédiate des portes étanches en cas de brume. Mersey réplique : « Ils n’engagent en rien aucune des parties ». (p. 630)
Quelle superbe manière de nier l’évidence, non?
Déviation du sujet
Newcombe poursuit sa démonstration de l’importance de placer un homme à chaque porte étanche en cas de brume, pour respecter le règlement. C’est là que Mersey sort son fameux : « Il me semble que l’on aurait pu employer les hommes plus avantageusement à leur faire mettre les chaloupe de sauvetage à la mer ».
Une autre tentative évidente de minimiser la faute de Kendall de na pas avoir respecté les règlements de sa compagnie?
Le Storstad a viré ou seulement sa barre?
Mersey « Vous soutenez, vous savez, que le Storstad a eu tort de mettre la barre à bâbord. Et c’est à cette manœuvre qu’est dû le fait qu’il a frappé l’Empress. M. Newcombe. – C’est bien cela, Votre Seigneurie. » (p. 629)
On ne sait pas exactement à quoi répond Newcombe, à la première phrase, la seconde ou les deux… Peu importe, si Newcombe accepte le fait que le Storstad ait viré, il diffère cependant grandement de la cour en critiquant sévèrement trois des actions de Kendall.
Tout compte fait il demeure que ces trois actions sont prouvées mais que le virage à droite du Storstad ne l’est pas. Rappelons que le troisième officier du Storstad a déclaré que son navire commençait à tourner vers la gauche lorsqu’il a mis la barre à droite toute, quelques instants avant la collision, et que le premier officier et le capitaine ont témoigné que la direction n’avait pas changé.
On ne peut pas affirmer que le Storstad ait tourné. On ne peut pas non plus le nier. On ne peut que le supposer. Malgré la précision des témoignages des marins du Stostat cela demeure une possibilité. Elle pourrait même demeurer la cause la plus plausible de la collision s’il n’y avait pas tous ces doutes quant aux manœuvres de l’Empress, les contradictions dans le témoignage de ses marins et passagers etc. Cela impose une certaine retenue, dont la cour ne semble pas s'être prévalue.
Kendall blâmé pour les portes étanches
Parlant de l’obligation de prendre des mesure pour la fermeture immédiate des portes étanches Newcombe pousuit : « Celui qui était au courant de l’urgence qu’il pouvait y avoir de fermer les portes se trouvait sur la dunette ou sur le pont. » (p. 631)
Ces propos visent expressément Kendall.
Importance accord�e aux deux navires
La description de l’Empress occupe 4.5 pages alors que celle du Storstad ne remplit que 0.5 page.
Est-ce que cela indique l'intérêt porté à chaque navire...? Le type de navire l’explique peut-être.
Faible appr�ciation de la position du Storstad
Kendall a pris un seul relèvement du Storstad. (p. 647)
Comment pouvait-il alors prouver que son navire avait une route vraiment parallèle et ne s’était pas rapproché de l’autre?
Fausse interpr�tation de signaux sonores du Storstad
La cour fait état des deux versions de l’accident. Si, lorsque la cour interprète la version de l’Empress, il ne faut pas être surpris de lire : « « Un coup de sifflet prolongé parti du Storstad de fit entendre sur deux points indistincts à tribord de l’Empress of Ireland, annonçant que le Storstad s’avançait sur ce dernier vaisseau… » (p. 647)
On peut s’étonner de lire, lorsqu'elle interprète celle du Storstad : « … trois signaux brefs auxquels on répondit par un coup de sifflet prolongé, pour indiquer que le Storstad s’avançait à sa rencontre. » (p. 649)
Le signal de brume du Storstad n’annonçait pas qu’il avançait sur l’Empress, mais bien qu’il continuait en ligne droite sur son erre. Il est tout à fait révélateur de retrouver exactement la même formulation dans l’interprétation des deux versions faite par la commission. Jamais un coup prolongé dans la brume signifie qu’un navire fait route vers un autre et jamais aucun officier du Storstad n’a témoigné avoir fait route vers l’Empress.
Restriction des faits sujets � enqu�te
On restreint toujours la question cruciale au fait de savoir quel bateau a tourné dans brouillard (p. 651).
Cela illustre sans équivoque que la commission rejette totalement la version du Storstad et ne se base que sur la seule et unique version de l’Empress. En effet, dans la version du Storstad, aucun navire ne tourne dans le brouillard; l’Empress vire avant le brouillard et le Storstad ne vire pas!
Réduire la recherche de preuve au seul brouillard retire du tableau des prémisses essentielles qui peuvent à elles seules apporter des explications complètes sur les circonstances de la tragédie.
Erreur d'interpr�tation ou virage invisible
«… nous en sommes venus à la conclusion que M. Toftenes s’est trompé en croyant que c’était l’intention de l’Empress of Ireland de le rencontrer de bâbord à bâbord… » (p.651)
L’erreur de Toftenes est en effet d’avoir cru que l’Empress conserverait sa direction pour passer à bâbord. Comment pouvait-il savoir que l’Empress changerait de direction avant d’entrer dans le brouillard? Comment pouvait-il savoir que l’Empress ne respecterait pas les règles habituelles de passage?
�vidence
« … cependant cette erreur nous semble n’avoir dû avoir aucune conséquence au cas où les deux navires eussent dans la suite maintenu leurs positions. » (p. 651)
Si ça avait été le cas, il n’y aurait pas eu erreur, ni collision, ni naufrage. Si la version du Storstad est la bonne et que l’Empress a voulu retourner au large en coupant de nouveau la route du Storstad, Kendall n'est-il pas coupable d’une autre faute majeure, soit ne pas avoir respecté les règles de croisement en mer (en risque d’abordage le navire qui voit ou qui sait l’autre sur sa droite doit laisser le passage, donc s’écarter du chemin de l’autre)?
Contradictions de t�moignages pour le Storstad
La cour discute du témoignage de Galway et de ceux des marins de l’Alden et y voit des contradictions flagrantes. (p. 652)
Sans élaborer inutilement sur le fait qu’elles ne soient pas si flagrantes que cela il demeure un fait grave et incriminant : les deux témoignages parlent d’un comportement de l’Empress semblable à celui que, selon les Norvégiens, il aura quelques heures plus tard juste avant l’entrée dans le brouillard. Un tel mouvement de l’Empress, bien qu’il n’ait pas été prouvé hors de tout doute, ne peut être éliminé aussi facilement des possibilités et aurait dû demeurer dans le lot des incertitudes entourant la collision. Mais il avait le malheur d’être défavorable à l’Empress…
Par ailleurs, comme interpréter le fait que des témoignages de marins de deux navires distincts croisant dans les mêmes eaux et qui ne sont jamais vus portent sur un même incident? Déjà là il y a matière à investigation et non à rejet.
Preuve potentielle rejet�e
Concernant les problèmes de la roue du gouvernail qui cessait de réponde et que l’on devait remettre au centre afin qu’elle agisse de nouveau, la cour conclu « Nous n’attachons donc aucune importance à ce fait». (p. 653)
Rappelons que ce trouble avait été rapporté par un marin de l’Empress et qu’en aucun temps on en a recherché la cause. Ça en dit gros sur la recherche de la vérité.
Preuve potentielle rejet�e
Concernant l’efficacité du gouvernail en raison d’une poupe particulière de l’Empress, la cour poursuit : « mais nous ne nous embarrasserons pas plus longtemps… » (p. 653)
Encore une fois tout ce qui peut être préjudiciable pour l’Empress est rejeté!
Arr�t d'urgence avant ou apr�s le brouillard
Concernant le renversement des machines de l’Empress, la cour avance « Il convient cependant de mentionner la manœuvre de l’Empress of Ireland qui a débuté au moment où les feux du Storstad commencèrent tout d’abord à devenir confus grâce au brouillard » (p. 653)
Plusieurs témoignages font cependant état d’au moins deux coups de sifflets prolongés de l’Empress, signifiant qu’il conservait son erre et qui aurait été entendu une fois celui-ci dans la brume. Le renversement des machines aurait donc été fait une fois dans la brume, et non avant d’y entrer?
Malaise ou panique
« Nous croyons au contraire que cet arrêt indiquait le malaise où se trouvait le capitaine Kendall et la conscience qu’il avait de ce que son vaisseau devait se trouver dans le voisinage trop immédiat du Storstad. » (p. 653)
La cour admet l’évidence mais ne fait aucun lien entre les témoignages précédents de Kendall sur le fait que, quelques minutes seulement auparavant, l’Empress était à distance sécuritaire il n’y avait aucun risque d’abordage. Elle ne cherche pas à comprendre comment la situation a changé au point de devenir aussi préoccupante pour Kendall.
Le « il avait perdu la tête » de Haight parlant de Kendall prend ici une signification particulière. La cour préfère «malaise » mais on en retient que quelque chose d’anormal se produisait alors.
Faute att�nu�e
« Nous croyons que le capitaine Kendall eût été mieux avisé en donnant au Storstad plus de champ et en gouvernant son vaisseau de façon à rencontrer le Storstad à une distance plus grande qu’il ne s’était d’abord proposé de le faire. » (p.653)
Cette constatation est tellement évidente que même la cour, malgré son apparente partialité, ne peut s’empêcher de l’inclure dans ses conclusions. C’est le fondement même de l’opinion des personnes qui se sont penchés sur cette affaire. Elle sera malheureusement totalement réduite dans la suite de l'énoncé.
Faute att�nu�e et réduite à l'extrême
« Nous nous refusons cependant à croire que l’arrêt de son vaisseau [l’Empress] exécuté, il faut le reconnaître, pour assurer plus de sécurité, puisse passer pour une manœuvre maladroite de la part d’un marin, de même que nous ne sommes pas prêts à admettre que le fait d’avoir manqué de donner du champ [au Storstad] ait pu contribuer à amener le désastre (p. 653) »
Cela annule totalement la citation précédente. Ce paragraphe résume toute la logique de la commission!
«… il faut le reconnaître »… pourquoi donc faut-il le reconnaître alors que cet arrêt, inhabituel et risqué pour les machines, semble beaucoup plus être le résultat d’un état de panique ou, tout au mieux, à une situation soudainement devenue incertaine, sans autres explications?
« pour plus de sécurité », encore une fois une acceptation sans compromis des dires de Kendall et une façon un peu succincte de poser les faits. Il aurait été bien plus honnête d’écrire « pour plus de sécurité parce qu’il ne savait plus où était le Storstad ».
Banalisation des faits
« Il est reconnu que les gens du Storstad on fait une manœuvre qui, dans des conditions ordinaires, auraient fait dévier ce vaisseau de sa route… » (p. 653)
Quelle étonnante tournure de phrase. Oui on peut le reconnaître mais non il ne s’agissait pas de conditions ordinaires : le courant de la marée montante, venant du large, tendait à plaquer le Storstad contre le rivage. Leur manœuvre de la roue pouvait donc être facilement réalisée dans avoir aucun effet sur la direction du navire.
Invention de t�moignage
« … M. Toftenes, qui avait le commandement du Storstad, … avait expliqué [à Haight] que son but en faisant bâbord toute était de donner beaucoup de champ. » (p. 654)
Jamais Toftenes n’a mentionné qu’il avait manœuvré à tribord pour laisser plus de champ à l’Empress. On ne retrouve aucune trace d'une telle déclaration de Toftenes. La cour l'a imaginée? Elle en fait la base du prétendu virage à droite du Storstad.
Surprenant, en fait non, pas surprenant du tout, de constater que la cour semble inventer ses propres arguments! Nous ne sommes plus dans une plaidoirie teintée de partialité, mais bel et bien dans les conclusions d’une enquête officielle! N'y retrouvons-nous pas les mêmes biais de la réalité?
Admission de preuve du bouts des l�vres
« Le capitaine Kendall a déclaré que, au moment de la collision, son vaisseau était immobile… Ce peut prêter au doute. » (p. 654)
La cour n’a pas le choix d’admettre, même timidement, qu’il se peut que l’Empress n’ait pas été immobile au moment de la collision, surtout parce que trop de témoignages allaient dans ce sens.
Preuves manquantes
Le rapport poursuit : « Mais il reste acquis que le Storstad se porta à bâbord, dévia de sa route et causa par là la collision. » (p. 654)
« Mais il reste acquis »... aquis par qui? Quelles preuves formelles et hors de tout doute a-t-on pour affirmer que cela est « acquis »? Aucune, absolument aucune. Il demeure néamoins qu’il est impossible de nier cette possibilité. Si les marins du Storstad n’avaient pas pris lecture de la boussole dès que l’Empress est réapparu, il aurait été alors possible de prétendre que le Storstad avait viré, même s’ils n’en avaient pas l’intention.
Si cela s’avère, et cela restera toujours è prouver, il n’en demeure pas moins que jamais personne n’a su établir l’amplitude de ce virage éventuel : 1, 2, 3 degrés? Et de toute manière, qu’il ait viré ou non, l’Empress était beaucoup trop proche de l’autre, à une distance que les faits ont qualifié de non sécuritaire.
Formulations tordues identiques
« On peut se demander ce qui a pu amener les gens chargés de diriger le Storstad – M. Tortenes et M. Saxe – à virer à bâbord et à faire bâbord toute. » (p. 654)
Cette même formulation a aussi été employée par Aspinall, l’avocat de l’Empress, alors qu’il est établi hors de tout doute que c’est la roue du gouvernail, et non le navire, qui a été viré à bâbord puis bâbord toute.
De plus la cour n’a pas à « se demander ce qui a pu amener… », puisque les raisons de cette manœuvre ont été clairement exposées par les témoignages des personnes impliquées : ils ne voulaient pas que leur navire ne soit emporté vers la gauche par le courant.
Faute sans rapport avec la collision
« Nous sommes de plus d’avis que M. Toftenes, l’officier commandant du Storstad, a fait preuve de négligence en tardant à faire venir le capitaine au moment où le brouillard s’est levé. » (p. 654)
C’est un fait, sans aucun doute, mais est-ce que cela peut être invoqué dans les causes directes de la collision? Absolument pas. La collision n’est pas due au fait qu’un officier n’ait pas appelé son capitaine au moment opportun. De plus, peut-on qualifier le tout de négligence, alors qu'il était en train de surveiller les mouvements d'un autre navire au comportement erratique entrant dans le brume?
Jugement subjectif
« La capitaine est l’homme qui eût dû se trouver là » (p. 654).
Toftenes, comme premier officier du Storstad, avait toutes les compétences pour agir. Non seulement son capitaine a approuvé son comportement dans la manœuvre du Storstad mais il fut lui-même promu capitaine l’année suivante. Rappelons que Kendall a été rétrogradé maître de port et n’a plus jamais commandé de navire. Et aux commandes de l’Empress, aurait-il été mieux de retrouver le premier officier Jones, dont c’était le quart, plutôt qu’un capitaine qualifié de téméraire par plusieurs?
Bl�me port� faute de mieux
« Nous regrettons d’avoir à imputer un blâme […]. Nous ne pouvons toutefois arriver à d’autre conclusion que celle-ci, à savoir que M. Toftenes a manqué et a fait preuve de négligence en gardant en mains le commandement du vaisseau… » (p. 654).
Toftenes était occupé à tenter de suivre les manœuvres d’un autre navire dont le comportement était erratique et un banc de brouillard s’avançait. Il était l’officier le plus qualifié pour avoir une idée exacte et complète de la situation.
Affrimations sans preuves
Dans la partie traitant des causes possibles du naufrage rapide de l’Empress, parlant de la porte dont le numéro a été retrouvé sur la proue du Storstad, la cour écrit « Cette porte se trouvait à 16 pieds en arrière de la cloison dont l’étanchéité fut détruite » (p. 657)
Il n’y a aucune preuve directe que la cloison a été touchée, et pas plus détruite au point de perdre son étanchéité, mais la cour en fait une vérité. Pour minimiser la non-fermeture des portes étanches, des sabords et des hublots?
Devant tant de preuves que des portes, hublots et sabords n’étaient pas fermés, la commission n’aura d’autres avenues que de conclure que cela a contribué à accélérer le naufrage, en empêchant l’Empress de se redresser après le gîte causé par l’entrée initiale d’une grande masse d’eau. Cependant, aucun mot sur la part de Kendall dans cet état de fait, alors qu’il avait la responsabilité de faire en sorte que tous ces éléments aggravants soient neutralisés en temps de brume.
On lut au d�but de l'enqu�te 20 questions dont le gouvernement canadien d�sirait avoir une r�ponse. Voici quelques-unes de ces r�ponses.
Question No 19. – Y avait-il sur les deux navires de bons matelots en sentinelle dans la mâture?
Réponse. – On faisait bonne vigie à bord de l’Empress of Ireland. La preuve établie jusqu’à présent ne nous permet pas de dire si la faute commise par ceux qui commandaient le Storstad en pensant que l’Empress of Ireland les rencontrerait bâbord à bâbord est ou n’est pas le résultat d’une mauvaise surveillance. (p. 667)
La première phrase de cette réponse, officielle soulignons-le, est aberrante alors que la vigie a elle-même avouée qu’après avoir signalé le Storstad « … je ne m’en suis pas occupé dans la suite ». Une sentinelle qui ne fait pas le travail pour laquel elle a été affectée, soit suivre les mouvements d’un navire venant à la rencontre de son navire alors que survient un brouillard ne peut en aucune façon faire partie de ce qu’on appelle de « bons matelots », d'autant plus qu'il s'agit là de sa seule tâche!
La seconde phrase est toute aussi surprenante. La vigie du Storstad était sur le devant de la proue, et non dans le nid-de-corbeau. Malgré cela, non seulement elle a décrit dans les moindres détails les mouvements de l’Empress avant l’arrivée de la brume mais aussi son témoignage rejoint en tous points celui de ses camarades de passerelle. De plus, non seulement la cour ne répond pas à la question 19 en refusant de qualifier la vigie du Storstad mais elle s’égare dans l’hypothétique « faute commise par ceux qui commandaient le Storstad », qui n'est nullement le sujet de la question.
La réponse aurait dû être simplement : "Non" pour l'Empress. Pour le Storstad la réponse aurait dû être "Oui, mais la vigie était à la proue et non au mat." Ne peut-on pas voir dans ce seul extrait toute la substance de la partialité à peine voilée de la cour?
Par ailleurs le mot "faute" est utilisé ici pour la première fois pour qualifier l'intention de passage gauche-gauche de l'Empress présumée par les marins du Stortad. Il n'en a jamais été question dans les conclusions du rapport d'enquête. Il ne peut pas être soudainement utilisé ici, ne serait-ce que parce que l'argumentation est absente. Interpréter une situation lorsque tous les faits la supportent, surtout si elle est conforme au réglement sur les abordages en mer, ne peut être qualifié de faute.
Cette réponse est adressée au gouvernement canadien. Elle faisait partie de ce que le gouvernement voulait vérifier quant aux causes probables de la tragédie. Si on s'en tient au témoignage de la vigie de l'Empress et la première partie de la réponse, on ne peut qu'admettre qu'elle est fausse. Il ne peut pas y avoir erreur d'interprétation, la vigie a bel et bien dit qu'elle n'avait pas prêté attention au Storstad et la cour a bel et bien écrit qu'il y avait bon matelot en sentinelle dans la mâture. S'il n'y a pas erreur c'est qu'il y a mensonge?
On ne peut arriver à un autre constat que les responsables de l'enquête ont erré en affirmant au gouvernement canadien que la sentinelle de l'Empress avait agi en "bon matelot".
La cour aurait-elle poussé la partialité jusqu'à mentir aux autorités?
Question No 20 – Doit-on attribuer la perte de l’Empress of Ireland, etc., ou des vies à une mauvaise conduite ou à une négligence de la part du capitaine et du lieutenant de ce navire, ou bien encore du capitaine, du premier, deuxième et troisième officier du Storstad, ou simplement de l’un d’entre eux?
Réponse. – Nous avons déjà répondu à cette question dans notre rapport.
La seule négligence dont il a été question dans cette enquête est celle entourant le fait que Toftenes n’avait pas réveillé son capitaine à temps. Or, cela n’a rien à voir avec l’accident comme tel.
La cour conclut également que Toftenes s’est trompé en pensant que l’Empress allait le rencontrer gauche-gauche. C’est une vision sournoisement tronquée de la réalité. Si on considère la version norvégienne, Toftenes a eu totalement raison de croire que l’Empress allait le passer à gauche. D’une part il voyait le feu rouge de l’Empress et les feux de mats distancés, deux indices qui parlent par eux-mêmes, lorsque l’Empress a disparu dans la brume. Tous ses camarades de la passerelle ont vu la même chose. Toftenes ne s'est pas trompé. Il a été trompé.
D’autre part, ce qu’il pensait était tout à fait conforme avec le règlement sur les abordages en mer : lorsque deux navires vont à la rencontre l’un de l’autre, ils doivent manoeuvrer pour faire un passage gauche-gauche. L’Empress était en train de manœuvrer et Toftenes estimait qu’il irait se placer à distance suffisante, tel que le prescrit le règlement. La véritable erreur de Toftenes aura été de présumer que l’Empress respecterait le règlement. Ce n’est pas une erreur car tout indiquait ce qu’il prévoyait; l’Empress a changé de direction avant d’entrer dans la brume mais cette version a été complètement balayée par la commission.
Bonus de vitesse
Pendant les interrogatoires des membres d’équipage du Storstad, Aspinal tente d’insinuer que le capitaine Andersen reçoit un boni pour une livraison rapide, ce qui s’avère faux. Il tente continuellement de prendre en défaut les témoins du Storstad, non pas en attaquant leurs déclarations, mais tentant de dévier les faits sur des informations très secondaires ou non-significatives.
Harcèlement et dénaturation
Pendant tout l’interrogatoire de Galway la cour et Aspinall se sont acharnés sur lui afin de créer cette grande confusion autour de faits très secondaires. On est même allé jusqu'à l'accuser d'avoir voulu marchander son témoignage! Ce même acharnement s'est appliqué sur les livres de bord du Storstad. Le livre de bord de l'Empress, rédigé après le naufrage, ne fut même pas analysé...
De plus pendant sa plaidoirie Aspinall s’applique à dénaturer les témoignages des Norvégiens et à minimiser le plus possible l’effet du courant, l’élément en cause pour les manœuvres du Storstad. Il traite presque de menteurs les marins du Alden qui ont vu l’Empress zigzaguer quelques heures avant la tragédie. Il discrédite le témoignage de Galway sur l’état du gouvernail parce qu’il n’a pas « répondu à sa satisfaction ». Il nie mais ne prouve rien.
Il attaque l’expertise de Reid, témoin ingénieur pour le Storstad, en invoquant que plusieurs navires de taille comparable ont un gouvernail similaire à celui de l’Empress. Jamais cependant il ne parle de la forme de la poupe des navires comparés; or la forme de la poupe de l’Empress avait une configuration très particulière qui, selon Reid, aurait nécessité un gouvernail de plus grande taille. Aspinall tente de prouver que le Storstad allait rapidement au moment de la collision. Il retient le témoignage du timonier du Storstad, parce qu’il « incrimine » son navire, mais rejette celui du timonier Galway de l’Empress, parce qu’il incrimine l’Empress.
En gros, lorsque les preuves sont trop évidentes, la cour n'a pas le choix de les considérer telles quelles. Mais lorsqu’il est possible d’y glisser un doute, même minime, on les élimine sans vergogne, allant même jusqu’à utiliser les mêmes mots que l’avocat de l’Empress. C’est plus que du plagiat.
Dans sa formulation de la version de l’Empress, la cour emploi l’affirmatif : Kendall a vu ceci, Kendall a fait cela. Celle du Storstad est truffée de : Andersen prétend avoir vu ceci, Andersen prétend avoir fait cela…
Tous les arguments tendant vers une difficulté quelconque de gouverne de l’Empress ont été évacués.
C’était le quart du premier officier Jones, donc à lui de prendre le commandement du navire, mais Kendall a conservé ce commandement. Qu’elle en est la véritable raison?
Fusées de détresse
Aucun témoignage, autant de l’Empress que du Storstad, n'a été relevé à l'effet que Kendall a fait lancer les fusées de détresse. Il ne savait pas si l’autre navire avait coulé ou non et que la brume allait se dissiper ou non pour de bon. Il était de son devoir d’appliquer toutes les mesures exigées en cas de naufrage apparent.
Cela aurait permis à l’Euréka, qui était en manouvre à proximité, de se rendre directement sur les lieux. Malheureusement, l’Euréka est revenu au quai de Pointe-au-Père et ce n’est que là que son capitaine a appris la nouvelle du naufrage. Apercevant les feux de détresse il aurait très certainement pu arriver plus rapidement sur les lieux de la collision et sauver plus de vies.
Les feux de détresse n’auraient cependant pas accéléré l’arrivée du Lady Evelyn, qui était à quai à Rimouski et qui a été contacté par voie téléphone dès le début du naufrage.
Un élément de plus qui s'ajoute à tout ce que Kendall a ou n'a pas fait pour éviter ou minimiser la catastrophe?
Gouvernail
La cour a catégoriquement rejetés toute allusion à un quelconque trouble de l'appareil de gouverne de l'Empress. Une telle position est intenable. Quelles preuves réelles a la cour pour décider que le gouvernail n’était pas en problème? Aucune. Pas plus d’ailleurs qu'on a de preuves formelles qu'il était en défaut. Cependant, compte tenu de tous les éléments apportés comme appuis à une conception défaillante du gouvernail et à certains troubles de fonctionnement récents et actuels, la cour aurait au moins pu conclure que de tels troubles pouvaient faire partie d’une explication, sans pour autant les retenir, faute de preuves concrètes. Non, elle les a rejetées.
En résumé, la cour a rejeté tout élément défavorable à l'Empress ou les a minimiser au point de les écarter de toute cause de collision. Était-ce dans le but conscient de réduire sa responsabilité à une telle insignifiance que toute poursuite légale éventuelle n'y avait plus aucune prise ou, plus simplement, de sauvegarder la réputation de la marine britannique comme plusieurs le pensent? Si le but n'est pas certain les faits et les écrits le sont, eux.
S’il y a plusieurs points sur lesquels je ne suis pas d’accord avec les témoignages des gens de l’Empress, le comportement de leur avocat et les conclusions de la cour, il en demeure un seul où je ne peux pas suivre Haight, l’avocat du Storstad. En effet, je peux le seconder lorsqu’il relie les mouvements erratiques de l’Empress avant d’entrée dans la brume à un trouble ponctuel de gouvernail. D’une part rien ne prouve hors de tout doute que le gouvernail était en cause et d’autre part d’autres explications sont possibles, comme une fausse manœuvre, une difficulté de manœuvre, un arrêt d’urgence, un trouble récurent etc. Bien que plusieurs témoignages confirment que l’ensemble du système de gouvernail de l’Empress comportait des défauts de conception et d’opération, rien ne prouve qu’il était défectueux à ce moment précis au point de provoquer le zig-zag suspect. Cependant, les raisons de ce zig-zag importent peu car ce qu’ont vu les Norvégiens revient au même : un Empress effectuant de petits changements de cap avant le brouillard (ce qui est déconseillé par le règlement) et laissant croire qu’il allait passer et demeurer à gauche.
Crédibilité des témoignages
Plusieurs des affirmations de Kendall, en plus bien sûr d'être contraires à celle des Norvégiens, soit n'ont jamais été appuyées, soit ont été contredites, corrigées ou contestées par les faits et par plusieurs autres témoignages, même en provenance de gens de l'Empress :
Nous étions à bonne distance.
J’ai vu le feu vert du Storstad.
Il n’y avait aucun risque d’abordage.
Nous n’avons pas utilisé le signal de brume.
Nous avons arrêté avant le brouillard.
Le Storstad avançait à toute vitesse.
Le choc de la collision fut terrible.
Le Storstad faisait un angle de 90 degrés.
Le Storstad a reculé.
Le Storstad a rebondi.
Il y a eu une explosion.
Les portes étanches étaient fermées.
Il n’y avait aucun trouble de gouvernail.
Celui de Tortenes ne sera jamais contredit par autre que Kendall. Malgré toutes ses contradictions et ses exagérations ce sera celui de Kendall qui sera retenu.
Tout témoignage est sujet à la perception du témoin des faits qu'il rapporte. C'est pourquoi on peut accepter de légères différences lorsqu'il s'agit d'estimer le temps, la distance, la direction, la vitesse et l'impact si aucun moyen reconnu de mesure n'a été utilisé. C'est pourquoi on ne peut que donner des informations approximatives : environ deux minutes, à peu près un mille, plus ou moins 5 degrés etc. Un des seuls éléments qui n'a pas besoin d'outils de mesure est ce qu'on vu les Norgégiens avant la brume. On ne peut pas voir environ un feu rouge ou à peu près deux feux de mats distancés, le plus bas à gauche. On les voit ou on ne les voit pas. Si les Norvégiens affirment unanimement qu'ils les ont vus c'est qu'ils les ont vus. Pas de nuance possible ici. C'est un témoignage qui ne peut se prêter à interprétation. Pourtant, la commission ne l'a pas retenu. Si elle ne l'a pas retenu, c'est qu'il doit être faux. S'il est faux c'est que les Norvégiens ont menti. S'ils ont menti la cour aurait dû pousser la logique jusqu'à les accuser de parjure. Elle ne l'a pas fait. Elle ne donne aucune justification au rejet de leur témoignage, se contentant de dire que celui des Britanniques est le plus crédible.
Silence apparent des assesseurs
Un autre fait digne d’être mentionné est la totale absence critique des assesseurs de la cour, soit les spécialistes qui assistaient Mersey. Donald Tremblay l’avait d’ailleurs souligné dans sa propre analyse. Que ce soit pour le virage hâtif de Kendall, la nonchalance de la vigie, le renversement risqué des machines ou tout autre accroc aux bonnes règles de la marine, aucune réaction n’est venue de leur part, du moins aucune n'est notée dans les archives. Ils étaient capitaine, ingénieur, architecte ou chef mécanicien mais semblent avoir laissé passer les actes de Kendall. Il est reconnu que tous les spécialistes maritimes de l’époque étaient persuadé de la culpabilité de Kendall. Tous les spécialistes, sauf ceux affectés à la commission, étrange…
Je reviens encore sur le fait que toutes les personnes qui se sont penchées sérieusement sur cette affaire, qui ont lu les archives de l’enquête et le rapport de la commission en sont venues à une seule et même conclusion : Kendall est responsable de la tragédie. Les interprétations peuvent différer, les opinions plus ou moins nuancées, mais la constante demeure : pour des raisons qu’il serait bien intéressant de découvrir, mais pour lesquels on a de bons soupçons, l’enquête n’a pas été en mesure d’identifier le vrai coupable de cette catastrophe.
Mon opinion sur Mersey s’est légèrement modifiée suite à la lecture de l’enquête. Je crois qu’il était assez familier avec le domaine maritime pour présider une telle enquête. Sa compétence n’est donc pas à mettre en doute. C’est sa partialité qui l’est. Bien avant les conclusions aberrantes de son rapport une foule d’indices présageaient un tel verdict, à même l’enquête. Alors qu’il recueillait les témoignages sur la collision, Mersey s’est « échappé » plusieurs fois et a transgressé de manière flagrante l’apparence d’impartialité qui doit transparaître dans ce genre de procédure officielle, surtout pour son président.
Réalité déformée
À la lecture du rapport, même dans ses conclusion sur la conduite des navires on s’aperçoit que la cour a une vision différente de la réalité sur certains faits, notamment sur l’interprétation du signal de brume. Je ne peux pas croire à une erreur involontaire d’interprétation de faits réels, surtout avec la présence d’autant de spécialistes maritimes comme assistants de la cour. Ces petites erreurs ici et là nous conduisent automatiquement à une erreur générale sur l’ensemble de l’affaire. La commission n’a pas su ou n’a pas voulu faire tous les liens qu’il fallait entre tous les témoignages entendus. Je persiste à croire qu’il ne s’agit pas d’une erreur due à l’incompétence des personnes présentes. Doit-on l'attribuer à une volonté à peine cachée d’en arriver à un but bien précis, soit ne pas porter préjudice à la marine britannique, tout comme ce fut le cas lors de l’enquête sur le Titanic?
Un autre fait plus que significatif : il n'eut même pas été besoin d'entendre les témoins du Storstad pour soulever un sérieux doute sur le version de l'Empress! Les contradictions et les imprécisions de ceux de l'Empress suffisent à elles seules à semer ce doute qui nous empêche de les considérer comme relatant fidèlement la réalité, et donc peu crédibles pour appuyer une juste conclusion. Pire, nous pouvons également ne pas retenir les témoignages des gens de l'Empress et ne conserver que les répliques, les déformation des faits, les harcèlements, les négations et les autres interventions de la cour pour comprendre qu'elle avait un agenda bien précis.
Orientation des conclusions
La cour a délibérément orienté et restreint son verdict dans les manoeuvres des navires dans la brume. Parce que c'est seulement là qu'on peut considérer la manoeuvre présumée de virage à droite du Storstad? Parce que les manoeuvres incriminantes de l'Empress ont été faites avant ce brouillard?
Il a été établi deux manoeuvres majeures des navires dans la brume, soit l'arrêt d'urgence de l'Empress et la mise au neutre des machines du Storstad. En toutes circonstances ces deux manoeuvres doivent avoir des raisons impératives pour être appliquées. La proximité d'un navire constitue une de ces raisons. Or, dans quelle version ces deux manoeuvres trouvent-elles toute leur justification? Nulle part dans la version de l'Empress on trouve une logique quelconque à de telles manoeuvres. Ce n'est que dans celle du Storstad, et seulement dans celle-ci, qu'on peut la retrouver. Comme je le disais il y a déjà 25 ans, comme le j'ai confirmé dans ma première analyse, il n'y a que la version du Storstad qui explique tout.
Courant
Il demeure dans le domaine des possibilités qu'un des deux navires ou les deux aient été déportés par un quelconque courant, sans même que leur cap ne soit modifié d'un seul degré. Ils pourraient aussi avoir été décalés dans des courants de différente force ou direction. Autrement dit la collision comme telle pourrait avoir été due qu'au seul courant ou jeu de courants. Qu'on considére ou non ces possibilités, et toutes les autres pouvant expliquer la collision, la seule constante qui reste est la témérité de Kendall de demeurer dans une situation de risque d'abordage.
Hélice récalcitrante?
Dans son analyse de la collision, Donald Tremblay attribut le zig-zag de l’Empress à son arrêt d’urgence. Bien qu’on ait témoigné qu’un navire équipé de deux hélices contrarotatives soit réputé pourvoir effectuer cette manœuvre sans changer de cap, cela se fait à condition que les deux hélices soient parfaitement synchronisées. Était-ce le cas? Cela implique aussi que les hélices sont équilibrées et que leur impulsion à même vitesse de rotation est équivalente. Était-ce également le cas? On lit dans le rapport de 1915 du ministère de la Marine et des Pêcheries que le 16 octobre 1913 une des hélices avait dû être dégagée par les scaphandriers de la garde côtière. La dégager de quelle nuisance? On le ne sait pas. Cette nuisance a-t-elle affecté cette hélice en quelque manière? On le ne sait pas. En a-t-on fait l’examen par après? Aucune preuve en ce sens. Cette nuisance aurait-elle pu provoquer un déséquilibre suffisant à faire pivoter, même légèrement, le navire lors de cet arrêt d’urgence? On ne le saura jamais.
Impacts de la commission sur les poursuites
Il devait être connu de tous que les impacts des conclusions de la commission dépasseraient le simple cadre maritime. Les instigateurs de poursuites judiciaires en attente devaient surveiller avec très grand intérêt le dépôt du rapport de l’enquête afin d’en faire la base de leur argumentaire. Les commissaires connaissaient parfaitement l’impact de leurs conclusions puisqu’ils étaient juges, donc issus de ce système judiciaire qui allait prendre la relève dans les suites de l’affaire. Si la réduction de l’ampleur de la faute (réelle) de Kendall et l’amplification de la faute (hypothétique) de Toftenes avait pour but de sauvegarder la réputation de la marine britannique, n’avait-elle pas également comme conséquence immédiates et inévitables, sinon comme objectif sous-jacent, d’orienter les poursuites subséquentes? Ça les juges le savaient pertinemment. Ils ne pouvaient ignorer que non seulement leurs conclusions mais également et surtout la formulation utilisée pour les justifier seraient des outils précieux, ou dévastateurs, pour l’une ou l’autre des parties.
Mensonge
L’avocat Aspinall a souvent affirmé qu’il croyait que les Norvégiens avaient menti. Mais qui donc dans cette affaire avait le plus intérêt à mentir ou, disons-le de manière plus neutre, à ne pas relater la réalité dans ses moindres détails? Le capitaine d’un superbe paquebot, au service d'une compagnie de bonne réputation, en pleine ascension dans sa carrière mais qui par témérité et négligence était à l'origine de la perte d'un navire et d'un millier de vies et d'une des pires catastrophes maritimes de l'époque, ou le second officier d’un charbonnier? Qui avait le plus à perdre? Kendall bien entendu. Peut-on conclure qu’il a menti pour autant? Non, mais répondre à la question met bien des choses en perspectives.
Outre l'intention avouée, pour qui était-ce plus facile de tronquer la réalité? Deux officiers d'un côté (Empress) ou trois officiers et trois marins de l'autre (Storstad)? Quel équipage a fourni le témoignage le plus constant, précis et appuyé? Voilà autant de faits qui doivent alimenter la réflexion.
Révocation de certificat de compétence
On retrouve le texte suivant dans les prémisses de l’enquête : « Chaque fois qu’une enquête officielle peu amener la révocation ou la suspension d’un certificat de compétence ou de service que possède un capitaine, un lieutenant, un pilote ou un mécanicien, une copie du rapport ou de la déclaration qui a provoqué l’enquête devra être adressée à ce capitaine, lieutenant, pilote ou mécanicien. » (p. 9)
Suite à l’enquête y eut-il une quelconque révocation ou suspension d’un certificat? Nous n’en avons aucune trace. Certainement pas pour Toftenes car il a continué à naviguer et est même devenu capitaine l’année suivante. Pour Kendall rien n’est certain. Tout ce qu'on sait est qu'il n’a plus jamais commandé de navire de sa vie. Le résultat n’est-il pas équivalent à une révocation? Se peut-il que son certificat ait été suspendu en douce, à l’abri de toute indiscrétion? On l’aurait donc « condamné » subrepticement? Toujours pour sauvegarder la réputation de la marine britannique et mieux orienter les poursuites? Encore ici il ne faut pas conclure sans retenue mais il n’est pas interdit de se poser ces questions.
Par ailleurs, si on lit bien les conclusions de la commission d’enquête il n’est pas difficile de conclure qu’elles sont exclusivement basées sur la version de l’Empress, celle du Storstad ayant été complètement rejetée. La cour juge donc que la « vérité » est dans la version de l’Empress. Or on retrouve dans cette version une manœuvre maritime totalement interdite, soit le virage du Storstad dans la brume, un virage pouvant aller jusqu’à 80 degrés. Non seulement cette manœuvre est dangereuse mais elle est aussi une violation grave du règlement sur les abordages en mer. Pourtant, l’officier responsable de cette manœuvre n’a pas perdu son certificat. Si les conclusions de la commission insistent largement sur le geste "coupable" les recommandations n'en portent aucune trace. Non seulement on ne recommande pas de révocation de certificat de compétence mais on n'y retouve aucune allusion, Il y a donc une étonnante contradiction entre les conclusions et les recommandations de la commission. Un officier coupable d’une telle manœuvre aurait dû perdre illico son certificat de compétence, surtout en regard des suites catastrophiques du geste. La commission n’est cependant pas allée jusque là. Pourquoi? Parce que son but principal était atteint, soit laver l’Empress de tout blâme? Parce qu’elle ne voulait pas « pousser » trop loin et trop porter flanc aux critiques? Parce qu’une telle décision aurait été vivement contestée, surtout parce qu'elle savait (et savait qu'on savait!) que le vrai coupable s’en tirait sans trop d’égratignures, du moins en apparence?
Ligne synthèse
La lecture des archives de l'enquête sur le naufrage de l'Empress of Ireland fait voir toute cette affaire sous un angle quelque peu différent. Cela permet de la résumer ainsi, relativement au comportement du capitaine Kendall :
TÉMÉRITÉ -> NÉGLIGENCE -> PANIQUE
TÉMÉRITÉ après avoir croisé la route du Storstad en tournant si rapidement vers le golfe alors que la largeur du fleuve à cet endroit offre une multitude d’options beaucoup plus sécuritaires.
NÉGLIGENCE double 1) à l’arrivée de la brume en omettant de manœuvrer son navire pour l’éloigner d’une situation à risque d’abordage et 2) en n’ayant pris aucune mesure pour une fermeture instantanée des portes étanches.
PANIQUE dans la brume en effectuant une manœuvre d’urgence qui va au-delà des règles requises de navigation et qui a laissé l'Empress directement dans la route du Storstad.
Encore une fois, je n'ai pas le crédit de cette ligne! Elle prend en effet toute sa signification dans le fait qu'Edward Newcombe, sous-ministre de la justice du Canada et responsable des procédures de la commission, l'a exprimée dans ses commantaires de fin d'enquête. En retrouve-t-on trace dans les conclusions? Non. La commission rejète tout propos hostile à Kendall, même s'il vient de ses propres rangs! N'a-t-elle pas fait pareil avec tout témoignage hostile à l'Empress, même s'il venait de gens de l'Empress...?
Kendall a admis avoir fait arrêter son navire alors
qu'il voyait encore faiblement les lumières du Storstad. Comment expliquer
que si, comme il l'a témoigné, il était " toujours à bonne
distance " du Storstad il a dû amorcer une manouvre d'urgence alors
qu'il voyait encore l'autre? Se peut-il qu'à ce moment il se soit souvenu
de l'accident de 1912 où l'Empress of Britain était entré en
collision avec un charbonnier, norvégien de surcroît, provoquant
le naufrage de ce dernier? Se serait-il dit : " Il
n'est pas question que ce soit mon navire qui fonce dans un autre, comme il
y a deux ans. Je vais donc arrêter et attendre. "? Cette hypothèse
est extrême, certes, mais on ne peut malheureusement pas l'exclure, car
quelle autre raison peut justifier une manouvre toute aussi extrême alors
que tout était supposé aller si bien quelques instants auparavant?
Les raisons de cet arrêt extraordinaire ne peuvent s'inscrire
dans une suite de manoeuvres planifiées, courantes et logiques. Il tranche
trop avec les manoeuvres habituelles d'un navire. On applique une telle manoeuvre
lorsque la situation connaît une modification dramatique, imprévue,
inattendue. Il est impossible que cette modification dramatique soit due à un
changement brusque, immédiat ou soudain de la position des navires puisque
Kendall a toujours vu le Storstad sur sa même route. Ce n'est pas par
excès de prudence non plus car une situation "sans risque d'abordage" ne
peut devenir "à risque d'abordage" en quelques secondes. C'est
donc une autre raison. La plus plausible est que Kendall a réalisé,
et cela ne prend qu'une seconde, qu'il avait placé et maintenu son navire
dans une situation de risque d'abordage et qu'avec l'arrivée de la brume
il était en train de perdre le dernier moyen qu'il lui restait pour
bien estimer la position de l'autre. Force est de conclure qu'il n'a jamais
été à distance suffisante du Storstad. Même si le
risque était bien présent, il voyait toujours le Storstad et
il pensait être en mesure de palier à tout mouvement qu'il verrait
venir de l'autre. Ce n'est que devant l'évidence
de la couverture par la brume que tous ses repères sont diparus, d'où
son arrêt d'urgence.
Si le diable est dans les détails, comme le dit l'expression, l'enfer n'est-il pas dans l'ensemble des efforts réunis pour blanchir l'Empress et condamner le Storstad?
Crédibilité des versions
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Version de Kendall et de son second. |
Version de Toftenes et de son équipage. |
Regardons de nouveau objectivement les deux versions de l'accident et demandons-nous laquelle est la plus crédible.
Dans celle de gauche on voit un Empress allant tout droit et un Storstad qui tourne pour l'éperonner. Pour quelle(s) raison(s) tourne-t-il ainsi jusqu'à 80 degrés? Aucune explication n'a été apportée. Aucune explication ne peut s'appliquer que le geste délibéré. Rappelons que selon Kendall la distance qui séparait les navires avant la brume était de 3 miles. Il est impossible que le Storstad ait franchi une telle distance pour aller frapper l'Empress. Je reviens à mon opinion développée dès 1982 : cette version n'explique rien. La lecture des archives de l'enquête ne m'éclaire pas davantage. Telle qu'illustrée cette version ne tient pas la route, elle est impossible! Il a fallu que la cour la modifie (admettre que la distance entre l'Empress et le Storstad soit plus faible) pour l'admettre comme vérité.
Dans celle de droite on voit un Empress qui ziguezague. Pour quelle(s) raison(s)? Ce n'est pas le choix qui manque : trouble de gouvernail, erreur de navigation, difficulté de manoeuvre, arrêt d'urgence. Mon opinion originelle n'a pas changé, cette version explique tout : témoignages unanimes, position de l'Empress au fond, angle de collision, dommages au Storstad etc. Nul besoin d'en modifier quoi que ce soit pour qu'elle soit plausible. La lecture des archives ne fait que confirmer que c'est la bonne. Le simple fait qu'une enquête biaisée l'ait balayée suffit à s'en convaincre.
Malgré toutes les tentatives d'Aspinall et de la cour de prendre en défaut les témoins du Storstad, on ne peut arriver à une autre conclusion qu'ils ont été constants, unanimes, précis et honnêtes. On ne peut en dire autant des témoins de l'Empress, avec leurs contradictions, leurs trous de mémoire, leurs exagérations et leurs approximations. En ne considérant que ces faits, toute personne intègre, impartiale et juste ne pourra pas être si favorable à l'Empress. La cour l'a cependant été...
Pour employer la formulation de la cour, on ne peut arriver à une autre conclusion que tout ce qui pouvait être défavorable à l'Empress a été éliminé, tout ce qui était trop évident contre l'Empress pour être balayé a été réduit au strict minimum. Par contre, tout ce qui était défavorable au Storstad a été exagéré, amplifié et monté en épingle jusqu'à ce qu'il soit prouvé hors de tout doute raisonnable que c'était inutilisable ou qu'une preuve contraire vienne rétablir les faits.
L'enquête norgégienne s'est basée sur le règlement sur les abordages en mer pour déclarer que Kendall était le véritable coupable. Analysons ce règlement.
Il est d�licat de se prononcer sur les agissements d'un personnage de l'histoire � moins d'avoir une profonde connaissance du sujet et de son contexte professionnel, social, �conomique ou familial. Par ailleurs, dans le cas d'un juge, il est aussi reconnu que chacun a un style qui lui est propre qui va influencer plus ou moins fortement ses verdicts et ses sentences.
Cependant, lorsque les critiques sur ce personnage se font persistantes, il y a lieu d'en questionner le fondement.
C'est le cas de John Charles Bigham, dit Lord Mersey. On a parl� de collusion et m�me de corruption dans les critiques des enqu�tes qu'il a men�es en tant que juge ou commissaire en chef sur le Titanic, sur l'Empress of Ireland et sur le Lusitania. Ces rumeurs et rapportages sont sujets eux-m�mes � interpr�tation selon qu'ils soient d'origine favorable ou non � Mersey. Toujours est-il que plusieurs chercheurs, journalistes, reporters ou simples amateurs ont une opinion bien tranch�e et tr�s n�gative sur la partialit� de Mersey, pas dans une, ni dans deux mais bien dans les trois enqu�tes.
Remonter aux sources
Il n'y a que deux mani�res de pouvoir se faire une id�e exacte du personnage : avoir �t� son contemporain et t�moin de ses activit�s ou mettre la main sur des preuves directes. Les archives officielles d'une enqu�te o� s'est exprim� ce personnage sont d'excellentes preuves directes car elles contiennent ses propos tels qu'ils ont �t� prononc�s alors. Pour ma part je n'ai pas eu le choix d'opter pour la seconde mani�re.
La lecture des notes de l'enqu�te officielle et de son rapport nous m�ne donc � la source ultime de r�f�rence car on y rapporte les paroles dites, telle quelles. Ces archives sont les sources les plus directes et les plus proches des propos tenus par le personnage. Elles nous permettent un lien direct, sans filtre ni interpr�tation, vers les questions, opinions et commentaires �mis par Mersey lors des enqu�tes.
J'ai consult� les archives officielles de l'enqu�te sur l'Empress of Ireland. � prime abord je dois admettre que mon estime de Lord Mersey n'�tait pas tr�s haute avant cette lecture. Elle ne s'est pas am�lior�e depuis. Si cela est possible, elle s'est encore plus d�t�rior�e!
On dit que les �crits restent. et ceux qui restent sont �loquents. On peut y voir ou y d�celer des attitudes, des intentions, des opinions personnelles, des directives et d'autres indices plus que probants sur la partialit� qui a teint� l'enqu�te sur l'Empress of Ireland.
Proximit� avec les compagnies maritimes
Mersey �tait r�put� avoir de tr�s bonnes relations avec les dirigeants des compagnies maritimes. On sait qu'il fr�quentait les m�mes clubs priv�s que leurs dirigeants et qu'il avait parmi ses connaissances un certain Bruce Ismay, pr�sident de la White Star (Titanic). Ismay et lui se pr�senteront comme d�put�s pour le m�me parti dans la m�me r�gion. En tant qu'avocat il avait souvent plaid� pour ces compagnies maritimes. Une fois juge, plusieurs de ses verdicts ont �t� relev�s comme d�finitivement en faveur des compagnies maritimes ou de personnes associ�es, peu importe le contexte. Dans un cas il a exon�r� la m�re d'Ismay dans une cause d'accident automobile.
Sa proximit� avec les compagnies maritimes ne peut �tre d�montr�e par les archives de la commission, mais en provenance d'autres sources. On peut tout de m�me noter qu'aucune compagnie maritime n'a �t� bl�m�e dans ces enqu�tes, malgr� des faits trop �vidents, comme par exemple de laisser appareiller des navires tout en sachant 1) qu'il n'y avait assez de chaloupes de sauvetage (Titanic), 2) que son gouvernail pouvait pr�senter des d�fauts de conception ou de fonctionnement (Empress or Ireland) et 3) que les sous-marins allemands l'attendaient (Lusitania). D'aucuns pr�tendent qu'il y aurait aujourd'hui mati�re � poursuite pour n�gligence criminelle dans les trois cas.
Dicta
Par ailleurs Mersey �tait d�j� r�put� pour ses dicta pendant les proc�s qu'il avait pr�sid�s avant de devenir chef enqu�teur. Ces dicta se sont perp�tu�s pendant ses enqu�tes. En effet, on les retrouve � plusieurs reprises pendant celle de l'Empress. Il a �mis des directives et des opinions tr�s surprenantes et tranch�es pour un enqu�teur dont le principal r�le est d'assurer la cueillette rigoureuse de t�moignages et de preuves et dont la seule position se doit de demeurer neutre et impartiale.
Canadien Pacifique
Si dans les trag�dies du Titanic et du Lusitania on peut identifier des manquements graves des compagnies maritimes, il en est autrement dans celle de l'Empress of Ireland. Ce n'est pas aussi tranch�. On a bien le fait que le C.P. aurait tent� de soustraire le t�moin Galway � l'enqu�te mais la preuve demeure circonstancielle et pourrait aussi �tre due � un manque de communications entre ses repr�sentants, l'un voulant retourner Galway en Angleterre et l'autre voulant le garder pour l'enqu�te. On pourrait aussi discuter sur les circonstances ayant amen� � la destruction par le feu de toutes les archives du C.P. qui concernaient l'Empress of Ireland, effa�ant du coup toute trace d'�changes ou de tractations potentiellement embarrassantes. Bien s�r il reste le gouvernail inefficace de l'Empress que la compagnie aurait tol�r�, mais encore l� la seule v�ritable preuve fini de rouiller dans le fond du fleuve.
Tout compte fait, et contrairement aux compagnies propri�taires du Titanic et du Lusitania, le Canadien Pacifique semble avoir pris toutes les mesures pour assurer la s�curit� de ses passagers. Elle avait �mis des r�gles claires pour la navigation en temps de brume et avait m�me �crit directement � ses capitaines de ne jamais consid�rer la vitesse de travers�e comme une fin ultime (cela n'emp�che cependant pas les pressions internes plus subtiles). On ne retrouve donc rien de flagrant pouvant incriminer le C.P., en tout cas pas autant que dans les deux autres cas. De plus, contrairement � Mersey, le C.P. a �t� tr�s s�v�re envers Kendall en l'assignant � terre pour le reste de sa carri�re.
On ne sait pas si le Canadien Pacifique �tait pr�sent dans les pr�occupations de Mersey. Peu importe car il pouvait en arriver � ses fins sans s'en soucier aucunement ; il avait en face de lui un capitaine britannique, issu de la grande tradition britannique en mer, et cela pouvait amplement justifier sa motivation d'en �pargner l'honneur et la r�putation.
On peut au moins �tre assur� que Mersey ne pouvait avoir une opinion d�favorable sur le C.P. Cette compagnie, bien que canadienne, ne tirait-elle pas tout son prestige de la tradition britannique autant de la marine que des affaires?
Par ailleurs par quel processus administratif Mersey s'est-il retrouv� � la t�te des enqu�tes maritimes britanniques? Son penchant présumé pour les compagnies maritimes y est-il pour quelque chose? Ce pr�jug� favorable �tait-il la principale raison de sa nomination � ce poste? Est-on venu le chercher pour pr�sider l'enqu�te de l'Empress pour cette seule raison? Ou parce qu'on �tait certain qu'il orienterait sinon l'enqu�te, du moins ses conclusions, afin de ne pas �tre trop d�favorables aux compagnies maritimes?
On peut �mettre toute sorte de th�ories concernant les rumeurs de complot, de collusion, de n�gociations ou de tractations entourant l'enqu�te de l'Empress. Tant que rien n'est prouv�, cela demeure des th�ories. Il ne reste qu'un constat de cette r�flexion : on n'avait nul besoin de dicter quoi que ce soit � Mersey car tout dans ses ant�c�dents portaient � croire qu'il allait prendre l'affaire avec un angle tr�s favorable � la marine britannique.
La suite n'a fait que confirmer le doute, qui est devenu certitude. En effet, peut-on raisonnablement qualifier de partiale une enqu�te qui nie, rejette, ou minimise � l'extr�me les faits d�favorables � l'Empress et qui les amplifie, magnifie et transforme pour les rendre d�favorables au Storstad? Cette enqu�te n'a pas �t� impartiale ; c'est la seule conclusion � laquelle on peut arriver apr�s la lecture des archives de l'enqu�te sur le naufrage de l'Empress of Ireland.
L'histoire
Dans le cas du Titanic et du Lusitania, Mersey a �mis des conclusions que l'histoire s'est charg�e de contredire. Par exemple, il a critiqu� le capitaine du California de ne pas voir port� secours au Titanic alors qu'il n'�tait qu'� 10 miles de ce dernier. De r�centes d�couvertes prouvent que le California �tait � pr�s de 20 miles du Titanic sombrant et que, surtout dans une mer encombr�e de glace, toute intervention aurait �t� impossible. Il a cat�goriquement rejet� la pr�sence de munitions � bord du Lusitania, ce qui lui aurait donn� en quelque sorte un statut de navire de guerre. On a su par la suite qu'il y avait effectivement des munitions � bord.
Dans le cas de l'Empress, aucun fait nouveau n'est venu alimenter les arguments en faveur ou en d�faveur des conclusions de la commission. Ce ne fut pas n�cessaire et ce ne le sera jamais ; la lecture de l'enqu�te et du rapport suffit � elle seule � d�montrer un parti pris sans �quivoque.
Conclusion
Les archives de la commission ne permettent en aucune fa�on de d�terminer une quelconque connivence entre Mersey et le gouvernement, les compagnies maritimes ou le Board of Trade (organisme britannique responsable des affaires maritimes). On peut cependant constater de curieux parall�les entre Mersey et les avocats de l'Empress, autant dans les techniques d'interrogatoire que dans certaines formulations et interpr�tation des faits. De plus, il ne faut pas oublier tous les biais observ�s pendant l'enqu�te et dans le rapport de la commission, tous favorables � l'Empress.
Nous avons donc un personnage qui fr�quentait les m�mes cercles que les compagnies maritimes, qui �tait une bonne connaissance et m�me dans le m�me parti politique qu'un de leurs dirigeants, qui avait plaid� pour elles et qui avait jug� plusieurs cause en leur faveur ou en faveur de leurs proches. En le pla�ant � la t�te des enqu�tes maritimes, pouvait-on, sans faire preuve d'une incroyable na�vet� ou d'une volont� ferme qu'il le fasse, s'attendre � autre comportement qu'il continue dans le m�me sens?
Ce penchant évident pour les compagnies maritimes ne nous a-t-il pas �t� prouv� sans �quivoque par la suite, autant dans les affaires du Titanic, de l'Empress of Ireland que du Lusitania?
Tout ce qui �tait ou pouvait �tre d�favorable � l'Empress of Ireland a �t� rejet�, ni�, manipul� et minimis� � l'extr�me de mani�re � ne pas offrir de prise � toute forme d'accusation civile ou criminelle. Tout ce qui �tait ou pouvait �tre d�favorable au Storstad a �t� exag�r�, modifi� ou autrement alt�r� pour en faire, sinon en termes du moins en intentions, le coupable de cette catastrophe.
SANS PRÉJUDICES