Ciba ou la Quête du Pays-Mystère - Texte intégral



ile massacre
L'Île au Massacre, là où tout a commencé...

PREMIER PRIX
catégorie adultes narratif
CONCOURS LITTÉRAIRE
BIBLIOTHÈQUE FÉLIX-LECLERC
de QUÉBEC
ÉDITION 1994-1995
© Jean-Pierre Fillion 1995

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A Isabelle, qui a reconnu la
Tortue de pierre,
et à toutes mes Jeannettes,
pour qui j'ai écrit cette histoire
de bravoure, de ténacité et
de découvertes merveilleuses. 

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AVANT PROPOS

Dans le magnifique Bas-Saint-Laurent, le parc du Bic invite à la relaxation, au plein air, à la découverte.

Il invite à la relaxation dans un paysage sans cesse renouvelé, fait de baies, d'anses, de caps, de falaises, de tombolos et de montagnes, le tout balayé par un vent marin tantôt doux et vivifiant, tantôt furieux et terrifiant.

Il invite au plein air dans une suite de petits sentiers, de surprise en surprise, d'histoire en histoire, ou le long du littoral, de rocher en rocher, de plage en plage.

Il invite à la découverte d'un pays de légendes nombreuses et de riche patrimoine, de faune variée et de flore particulière, maintes fois étudiées et maintes fois décrites par ceux et celles qui sont tombés sous le charme unique de ce coin de paradis.

A travers "La quête du Pays-Mystère", Ciba, la tortue marine, vous invite elle aussi à l'accompagner dans son exploration des beautés de ce Pays.

Conte, description du paysage, interprétation de la faune et de la flore, hymne à la vaillance et au partage? "La Quête du Pays-Mystère", c'est un peu et beaucoup tout ça; à vous de choisir l'approche qui vous convient!

Et si jamais vous avez la chance de vous rendre dans ce petit paradis, peut-être, une fois entouré par les multiples formes de son paysage, tomberez-vous aussi sous le charme du "Pays-Mystère".

Et si vous êtes perspicaces, ou chanceux, peut-être en plus aurez-vous le privilège de trouver Ciba, nez au vent, face au soleil couchant, somnolant sur un quelconque rivage rocheux. Car Ciba n'est pas seulement qu'une tortue imaginaire, et elle attend sûrement votre venue...

A propos, avez-vous une idée d'où vient ce nom de "Ciba"...?

Ciba est bien sûr un conte, mais un conte qui se déroule dans un décor grandiose et bien réel. Afin de bien comprendre le périple de la petite tortue marine, et mieux préparer la vôtre, un petit supplément interprétatif a été annexé à l'ouvrage. Il vous donnera une petite mais bonne idée de la richesse du territoire et des innombrables découvertes qui vous attendent...


CIBA OU LA QUÊTE DU PAYS-MYSTÈRE

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NOUVELLE VENUE DANS LE PAYS-MYSTÈRE

C'était bien avant que les Humains du Pays-des-Châteaux ne traversent dans le Nouveau-Continent. Le Grand-Fleuve venait juste de se calmer, après une effroyable tempête qui avait même balayé le Grand-Océan, jusque dans le Pays-des-Palmiers.

Ciba, la tortue marine, avait aussi subi les conséquences du cyclone. Venue pondre sur la plage sablonneuse d'une île-sous-le-soleil, dans son Pays-des-Palmiers, elle avait été surprise par la bourrasque, entraînée par les courants, égarée parmi les baies et les caps bordant l'Océan. Elle avait pénétré dans le Grand-Fleuve et se retrouvait maintenant dans un environnement peu habituel, loin de sa mer natale.

La tête à demi sortie de l'eau, elle examinait la côte. Devant elle, une petite île coiffée d'une forêt d'arbres pointus semblait être reliée à la terre ferme à marée basse. Face à la mer, l'île se terminait abruptement par une falaise portant une grande tache au centre, comme une blessure sombre. Ciba y soupçonna une grotte.

Sur le rivage, elle distingua des Humains. Elle en avait déjà vu dans le Pays-des-Palmiers, mais ceux-ci portaient plus de vêtements.

- Peut-être fait-il plus froid ici, pensa-t-elle, constatant aussi une importante différence dans la température de l'eau.

A l'orée du bois, en retrait de la plage, les Humains élevaient des abris faits de branchages et de ce qui semblait être des peaux d'animaux.

- Ah, soupira Ciba, ils utilisent aussi les bêtes pour leurs besoins.

Une enfant se détacha d'un groupe de femmes et courut vers l'Ile-à-la-Falaise-Blessée. Des femmes et des hommes la rejoignirent rapidement sur la batture et la ramenèrent sur le rivage, lui parlant sévèrement. Ciba plongea, s'approcha et émergea la tête près du groupe.

- Tu ne dois jamais aller sur cette île, disait une femme à la petite fille.

- Pourquoi?, demanda la jeune fugitive.

- Parce qu'elle est située dans le Pays-Mystère, le pays de Macoma-le-Gigantesque.

- Qui est Macoma-le-Gigantesque?

- Un grand reptile qui a survécu au cataclysme qui a effacé ses semblables de la surface de la terre, au début du temps-des-lunes.

- Reptile?, songea Ciba. Mais je suis moi-même une reptile. Se peut-il qu'une tortue géante habite ici?"

Un homme s'approcha de la fillette.

- Ce pays, reprit-il en indiquant le soleil couchant, est rempli de mystère. On raconte qu'au début des temps, lorsque le Grand-Esprit eut terminé de créer toutes les montagnes, il vint se reposer ici. Trop fatigué pour continuer, il déversa le restant des montagnes que contenait son grand sac. C'est pourquoi il y a tant de montagnes.

- Mais Macoma-le-Gigantesque?, insistait la fillette.

- Il est énorme. Peu de gens l'ont vu. Mais son cri est terrifiant...

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PREMIÈRE RENCONTRE AMICALE

Le groupe d'Humains quitta le rivage, la fillette jetant des coups d'oeil interrogateurs à l'Ile-à-la-Falaise-Blessée. Tous et toutes disparurent dans les abris, d'où s'échappait une fumée blanche. Au-dessus, des Corbeaux tournoyaient à grands cris et fonçaient sur une ombre perchée dans un arbre, une silhouette dans laquelle Ciba crut reconnaître un Hibou. Sans s'attarder davantage au manège intimidant des oiseaux, Ciba plongea et gagna la rive de la petite île.

- Si le grand reptile vient, j'essaierai de mieux le connaître, se dit-elle naïvement.

Elle sortit de l'eau et se hissa sur une grosse roche. Un grand oiseau se tenait sur un rocher voisin. D'un plumage noir, avec un long bec orangé crochu au bout, il secouait lentement ses ailes au vent. Elle avait déjà aperçu des oiseaux semblables au Pays-des-Palmiers.

- Mais veux-tu bien me dire ce que tu fais, les ailes ainsi ouvertes?, demanda-t-elle.

- Mes plumes ne sont pas imperméables comme celles des canards, je dois donc les faire sécher au soleil et au vent, après une bonne plongée. Mais, dis-moi, qui es-tu donc?

- Je suis Ciba, une tortue marine. Je viens du Pays-des-Palmiers. Je me suis égarée dans les courants marins lors de la dernière tempête.

- Je le vois bien. Moi, je suis un cormoran. Je demeure ici une bonne partie de l'année. Tu sais qu'il peut être dangereux de pénétrer dans le Pays Mystère?

- A cause de Macoma-le-Gigantesque?

- Ah, tu le connais déjà! En effet, il n'aime guère qu'on le dérange. Nous les oiseaux, nous venons à notre guise dans le pays car nous pouvons lui échapper facilement, d'un coup d'aile. Mais toi, tu risques des ennuis si tu t'aventures plus profondément...

- Ça ne fait rien, je n'ai pas peur. Et de toute façon, je dois trouver une plage pour pondre mes oeufs. Le temps est venu!

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LA GROTTE A L'IMPRESSION ÉTRANGE

Ciba décida de passer la nuit dans la grotte qu'elle avait cru apercevoir dans la falaise de la petite île. Effectivement, il y en avait une, assez profonde pour s'y abriter convenablement. Glissant quelques fois sur les Herbes-Marines-qui-S'accrochent-aux-Roches, elle réussit à se hisser devant l'entrée. La grotte était haute, avec un plancher assez incliné. Ciba remarqua au passage de petites fleurs d'un rose tendre dont les bouquets ornaient la paroi voisine de la grotte, et plus loin d'autres d'un bleu foncé dont les clochettes ondulaient au vent.

- Que de belles choses je vais découvrir ici, réfléchit-elle...

Mais dès qu'elle eut posé une patte dans la grotte, une sensation étrange l'envahit. Une sensation non pas de peur, mais de frayeur confuse, comme si le lieu eut renfermé un secret terrifiant.

Le fond de la grotte était totalement noir. Ciba hésitait à avancer davantage; elle craignait un peu l'obscurité. Mais, ses yeux s'adaptèrent à la faible lumière et les détails apparurent lentement.

Elle sursauta; tout au fond, une ombre se tenait, immobile. Une espèce de grosse tête avec de grandes oreilles pointues. Une sorcière? Un esprit maléfique? Un monstre? Un...

- Du calme, du calme, se dit Ciba en s'immobilisant, fixant l'ombre quelques instants. Il n'est pas bon de trop laisser de place à l'imagination. Vérifions d'abord...

L'angoisse de l'obscurité et la surprise de l'ombre étaient maintenant passées. Mais l'étrange lourdeur continuait d'habiter Ciba.

- Tu as ressenti, toi aussi?, fit l'ombre d'une voix grave.

- Qui... qui es-tu?, répliqua Ciba, un peu inquiète.

- Je suis un Hibou. Comme j'ai une très bonne vue, je t'ai repérée tantôt et pendant que tu nageais je me suis débarrassé des Corbeaux qui me taquinaient et je suis entré dans la grotte pour te voir.

Sa vue maintenant bien adaptée à la faible lueur, Ciba distinguait plus nettement le Hibou victime des Corbeaux.

- Tu as de bien longues oreilles!, s'exclama-t-elle.

- Ce ne sont pas des oreilles, mais des aigrettes, des plumes, corrigea l'oiseau. Mes vraies oreilles sont bien protégées par les plumes de ma tête. Même si elles ne sont pas visibles, elles sont très efficaces pour repérer tout ce qui bouge dans le noir.

- Moi et ma manie de me fier aux apparences...

- C'est pas grave. Bien d'autres s'y laissent prendre. Tu sens aussi cette lourdeur dans la grotte?

- Mais que s'est il donc passé ici?, reprit-elle.

- Ce n'est pas un événement du passé, mais du futur. Le Grand-Esprit-du-Vent-Marin m'a déjà fait part de ses visions. Il n'a pu tout me dire mais il voyait des Humains, des cris, du feu, la mort...

- Ça ressemble bien au Humains que je connais... Où est ce Grand-Esprit-du-Vent-Marin?

- Il demeure dans le Pays-Mystère. Je lui parle, de temps à autre. Il veille sur le "secret" du Pays-Mystère et il...

- Le "secret"?

- Oui; le "secret" du charme qui ensorcelle ceux et celles qui viennent dans le Pays-Mystère. Un charme inexplicable qui fait effet presque toujours et qui rend amoureux de cet endroit. Evidemment Macoma-le-Gigantesque trouble grandement ce charme, mais n'empêche qu'il est irrésistible.

- Et personne ne connaît le "secret" de ce charme?

- Certains le connaissent, oui. Moi je le connais. Mais pour qu'il permette le "contact", il faut le découvrir soi-même.

- Le... "contact"?

- Oui. Si tu découvres le "secret" du charme du Pays-Mystère, alors et seulement alors tu pourras entrer en "contact" avec le Grand-Esprit-du-Vent-Marin. C'est un privilège très rare.

La fatigue étant plus forte que l'ambiance obscure de la grotte, Ciba s'y endormit et son rêve l'amena à la recherche du secret du Pays-Mystère.

- Mais quel est donc ce "secret"...?

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À LA DÉCOUVERTE DU PAYS-MYSTÈRE

La clarté matinale avait tôt fait de tirer Ciba d'un sommeil réparateur. Examinant les alentours, elle quitta l'Ile-à-la-Falaise-Blessée et nagea à contre courant, le long du littoral, vers là-d'où-vient-le-vent.

Elle contourna une autre petite île qui portait quelques arbres calcinés probablement par la foudre. Une bande de Goélands se chamaillait joyeusement sur les rochers. Ils aperçurent Ciba.

- Mais où vas-tu?, fit l'un deux.

- Je me cherche un endroit où pondre mes oeufs, répondit Ciba.

- Tâche de bien les cacher, car nous aimons bien les œufs frais.

- Je sais, il y a aussi des oiseaux de votre genre dans mon pays.

- Bah, que veux-tu, nous, nous aimons à peu près tout ce qui nous tombe sous le bec.

- Tant mieux pour vous. Chacun et chacune a le droit de se nourrir...

- Et de nourrir ses jeunes! Mais prends garde à Macoma-le- Gigantesque! Tu as l'air sympathique et nous n'aimerions pas être obligés de débarrasser la plage de ta carcasse... Tu comprends?

- Hum... Oui. Merci de l'avertissement...

Ciba s'éloigna de l'Ile-aux-Arbres-Brûlés et arriva en face d'une autre île, plus grande, plus haute et terminée par un cap qui semblait battre furieusement la mer. Par précaution, elle décida de passer à gauche de cette Ile-à-la-Pointe-Enragée.

Discrète, elle ne faisait surface que pour respirer. Alors qu'elle replongeait, elle heurta violemment le fond, heureusement recouvert de sable. Un peu étourdie, elle fit surface et alla s'échouer sur la berge, au pied d'une immense falaise qui retournait l'écho des vagues. Un grand poilu-quatre-pattes, au pelage beige et couronné d'un superbe panache, y errait à travers des arbres-à-l'écorce-généreuse.

- Tu as un problème?, ricana l'animal.

- Je ne comprends pas, je... mais qui es-tu, drôle de compagnon?

- Je suis un Caribou.

- Je n'ai jamais vu d'animal comme toi.

- C'est justement ce que j'allais te dire! Tu as un problème?

- Je... j'étais persuadée que l'eau était assez profonde entre l'Ile-à-la-Pointe-Enragée et cette falaise... Je suis un peu confuse; habituellement, je navigue très bien.

- C'est que le Pays-Mystère sort lentement de l'eau...

- Comment?

- Eh bien, quelques saisons après le début des lunes, un grand froid s'est abattu dans le Pays-Mystère et ses environs. Il y avait en plein où nous sommes une énorme couche de glace. Peu à peu, la glace a fondu et le Pays-Mystère, soulagé de ce poids, se relève!

- Tu veux dire que le fond que j'ai heurté sera un jour complètement sorti de l'eau?

- Je crois bien, oui. Il reliera alors l'Ile-à-la-Pointe-Enragée et la rive où nous sommes.

Deux autres Caribous, aux panaches plus modestes, émergèrent des arbustes riverains.

- Ah, voilà mes compagnes. Tu m'excuseras, mais nous avons des choses à faire ensemble...

- Vous n'avez pas peur de Macoma-le-Gigantesque?

- Bof, il vient rarement dans cette partie du Pays-Mystère. De toute façon, nous quittons bientôt cet endroit pour le Pays-des-Montagnes- de-Roches-et-des-Eaux-Cristallines. Nous sommes en quête de larges plateaux sans arbres où nous pourrons vagabonder à notre aise, tout en ayant toujours à l'œil les alentours. Nous craignons les Humains comme la peste...

- Ne serait-ce pas plutôt pour surveiller tes compagnes?

- Hum... Excuses-nous, nous devons partir...

Sous le regard perplexe de Ciba, le trio longea le rivage et traversa sur une autre petite île près de laquelle un gros rocher rappelait étrangement le dos d'une grande baleine. Elle laissa les Caribous à leur promenade amoureuse et poursuivi sa route vers l'intérieur du Pays-Mystère. Passant à droite de l'Ile-des-Promenades-Amoureuses, Ciba repéra, à fleur d'eau, une longue bande de sable qui l'unissait au rivage. Elle franchit l'obstacle avec précaution, ne voulant pas se couvrir à nouveau de ridicule.

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HALTE EN EAU DOUCE

Alors qu'elle nageait, un goût d'eau douce lui parvint à la bouche. Intriguée, elle remonta un peu ce courant et se hissa finalement sur un rocher pour mieux analyser sa route. Un grand oiseau arriva et se posa devant elle.

- Toi, tu es un Héron, affirma Ciba. Mais pourquoi es-tu donc si loin du Pays-des-Palmiers?

- Je vais dans ton pays seulement durant la saison-où-tombe-la-neige, répondit le grand oiseau, parce que ma nourriture est trop difficile à attraper ici. Quand la saison-des-nouvelles-vies arrive, je reviens.

- Et que manges-tu?

- Des poissons. Grâce à mes grandes pattes, je me tiens dans l'eau, immobile, et lorsque je repère un poisson, je l'attrape de mon grand bec au bout de mon... grand cou!

Un gros poisson passa vigoureusement à côté du rocher.

- Un poisson comme celui-ci, réagit Ciba?

- Oh non, poursuivi le Héron! Ça c'est un Saumon; il remonte la petite rivière là-bas pour pondre ses œufs. Moi je mange des poissons plus petits.

- Il est bien chanceux ce poisson d'avoir trouvé un endroit pour déposer ses œufs. Moi aussi, j'aimerais bien faire de même.

- Si je me rappelle bien de ton pays, il te faut une grande plage de sable. Il y en a une belle, plus loin: l'Anse-de-la-Plage-Douce. Elle est très facile à reconnaître; pleine de bois mort que la marée entasse. Mais tu y trouveras aussi du beau sable pour déposer tes œufs. C'est de l'autre côté de la Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer...

- La Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer?

- Oui; là où le Pays-mystère s'avance le plus vers la mer. Tu devras retourner vers le large, contourner l'Ile-des-Promenades-Amoureuses, passer entre l'Ile-à-la-Pointe-Enragée et la Montagne-du-Caribou. Tu passeras alors au-dessus de la Plage-qui-Sort-de-la-Mer...

- Je m'y suis cognée, tantôt!

- Ah bon! Tu passeras près de la Pointe-aux-Arbres-Effilés et tu iras ensuite vers la Baie-des-Brumes-Ensoleillées; là tu apercevras la Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer.

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BRIN DE JASETTE AVEC LE LOUP MARIN

Ciba voyait enfin ce qu'elle pensait être la Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer, le bout de terre le plus avancé du Pays-Mystère. Son versant qui donnait sur le Grand-Fleuve tombait en effet abruptement dans la mer et des blocs de rochers semblaient y dégringoler de temps à autre.

La courageuse petite tortue avait suivi les consignes du Héron, mais elle entrait aussi dans le territoire de Macoma-le-Gigantesque. En face d'elle: deux petites îles enveloppées dans la brume matinale.

A sa gauche, la Pointe-aux-Arbres-Effilés. Elle y avait pris une pause-collation, se rassasiant de petites gousses de pois et d'une grosse plante aux feuilles lui rappelant un goût de persil. Elle n'avait par contre pas touché à ces belles grandes fleurs rouges et jaunes dont la forme complexe ressemblait à des doigts d'Humain.

A sa droite, plusieurs petites baies et anses. Prudente, elle décida d'aller plus au large et aboutit sur un récif où elle se reposa un peu. Soudain, elle vit une tête émerger de l'eau, une tête qui ressemblait à celle d'un poilu-quatre-pattes.

- Mais que fait-il ainsi dans l'eau? se demanda-t-elle.

- Salut à toi, fit l'animal, qui nagea jusqu'au récif, sortit de l'eau et s'installa près de Ciba.

- Comme tu es bizarre!, remarqua Ciba. Tu es poilu comme le Caribou, mais tes pattes sont comme les miennes: des nageoires!

- Je suis un phoque, ou un loup marin, comme disent d'autres. Comme je vis dans l'eau, mon corps est bien protégé par ma fourrure et ma graisse. Je suis aussi un poilu-quatre-pattes, mais mes pattes sont transformées en nageoires. Ça m'aide beaucoup à me propulser, pour la chasse, et aussi pour échapper à Macoma-le-Gigantesque.

- Ma parole, ce Macoma-le-Gigantesque est-il si terrible?

- Oh oui, et il rôde dans les environs de la Baie-des-Brumes- Ensoleillées. Fais bien attention. Je te quitte. Je ne veux pas perdre le banc de poissons que je viens de repérer. Salut!

Le phoque se glissa dans l'eau et disparut dans les flots bleus. Ciba se sentait partagée entre son besoin d'atteindre la fameuse Anse-de-la-Plage-Douce et sa curiosité de rencontrer Macoma-le-Gigantesque ou, du moins, simplement le voir!

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LE "SECRET" DU PAYS-MYSTÈRE

Le regard de Ciba allait de la Baie-des-Brumes-Ensoleillées à la Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer, si proche, sans qu'une décision ne lui vienne. A mesure qu'elle observait les deux possibilités, il lui devint de plus en plus évident que le Pays-Mystère n'était vraiment pas comme les autres. La lumière du soleil y semblait plus brillante, l'air salin plus doux, le vent plus caressant, le son plus feutré, le temps plus lent.

Ciba compris alors pourquoi le Pays-Mystère était si particulier.

- Tu as trouvé le secret du Pays-Mystère, fit une voix qui semblait provenir d'un nuage.

- Mais qui... qui me parle ainsi?, s'étonna Ciba.

- Tu ne me verras pas. Je suis le Grand-Esprit-du-Vent-Marin. Je prends contact avec tous ceux ou celles qui découvrent le "secret" du Pays Mystère. Et tu as trouvé ce "secret": tout n'y est pas comme ailleurs, voilà...

- Ah bon... C'est vrai que c'est beau, ici. Pas difficile à trouver! Mais, est-ce que tu peux m'aider? Il me faut...

- Je sais ce que tu cherches, petite tortue, et je t'aiderai. Mais avant, moi aussi j'ai besoin de toi.

- Ah oui! Et comment?

- Vois-tu, mon rôle est de veiller sur le Pays-Mystère; je dois lui conserver sa beauté, peu importe qui y vient. Mais voilà, peu d'animaux y vivent depuis que Macoma-le-Gigantesque l'habite, seuls les oiseaux s'y risquent.

- Pourquoi alors ne le chasses-tu pas du Pays-Mystère?

- Parce que le Pays-Mystère se doit d'accueillir les animaux et non de les chasser. Macoma-le-Gigantesque a le droit d'y demeurer et c'est ce qu'il veut.

- C'est embarrassant!

- En effet. Mais il est dit qu'un jour viendra au Pays-Mystère un nouveau venu, arrivant du Pays-des-Palmiers, comme Macoma-le-Gigantesque, et dont les ancêtres remontent au temps-des-premières-lunes, comme ceux de Macoma-le-Gigantesque. Ce sera le jour du Grand Changement.

Ciba réalisa alors que ce n'était pas seulement le hasard qui l'avait fait aboutir dans cette lointaine région.

- Seul le nouveau venu, reprit l'Esprit-du-Vent-Marin, pourra satisfaire à la fois la volonté de Macoma-le-Gigantesque de rester dans le Pays-Mystère et le souhait des autres animaux d'y venir sans crainte. Acceptes-tu, nouveau venu?

- Je suis "une" nouvelle venue...

- Hum, je m'excuses... Acceptes-tu, nouvelle venue, d'aider au Grand Changement?

- Oui mais, en retour, tu m'aideras?

Ciba n'avait pas prononcé ces mots qu'un vent glacial se leva. Le ciel s'obscurcit et le tonnerre de fit entendre. L'inquiétude s'empara d'elle.

- Grand-Esprit, reprit Ciba, tu vas m'aider, dis?

- Tu dois d'abord te faire confiance, continua le Grand-Esprit. Si tu gardes ta confiance, tu pourras vaincre ta crainte et affronter Macoma-le-Gigantesque.

- Affronter Macoma... Moi? Moi seule?

- Allez, vas dans la Baie-des-Brumes-Ensoleillées et fais face à Macoma-le-Gigantesque.

- Mais, comment, Grand-Esprit?

- Garde confiance, Ciba, je serai avec toi.

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A LA RENCONTRE DE MACOMA-LE-GIGANTESQUE

Ciba était déchirée entre l'échéance de la ponte et le défi de rencontrer Macoma-le-Gigantesque. Mais comme le Grand-Esprit-du-Vent-Marin avait laissé entrevoir la possibilité de ramener la paix dans le Pays-Mystère, elle se décida.

Elle remplit sa carapace de courage et plongea vers la Baie-des-Brumes-Ensoleillées. Celle-ci était en effet recouverte d'une mince couche de brume au-dessus de laquelle on voyait filtrer les rayons solaires qui allaient bientôt disparaître derrière les sombres nuages de l'orage grandissant. Le temps semblait lourd, un silence troublant y régnait; nul chant d'oiseau, nul craquement d'arbre, nul clapotis de vague. Seul un oiseau-chasseur planait silencieusement au-dessus de la brume. Il descendit jusqu'à Ciba et se percha sur un rocher.

- Tu es dans le domaine de Macoma-le-Gigantesque, indiqua l'oiseau. Tu es bien téméraire.

- Et toi, que fais-tu ici?

- Je suis un Balbuzard, un aigle-pêcheur, et je viens ici pour pêcher!

- Et comment fais-tu pour capturer ton poisson?

- Je vole au-dessus de l'eau et, de mon regard perçant, je scrute le fond marin à la recherche d'un poisson-plat. Je plonge alors et le saisis avec mes pattes, pour aller ensuite le déguster, ou le partager avec ma famille.

Un bruit assourdissant résonna dans le silence du Pays-Mystère.

- Ça, ce n'est pas le tonnerre, réagit l'Aigle-pêcheur en prenant de l'altitude. Je vais voir ce que c'est...

Il s'éleva assez haut dans le ciel puis revint auprès de Ciba.

- C'est bien ce que je craignais, Macoma-le-Gigantesque arrive! Je crains pour toi, nouvelle amie, tu devrais partir.

- Le Grand-Esprit-du-Vent-Marin est avec moi.

- Vrai? Serais-tu la nouvelle venue dont me parlait le Hibou?

- Je... je crois que oui.

- Alors nous allons t'aider, nous, les oiseaux-chasseurs. Je reviens.

L'Aigle repartit dans le ciel et disparut, laissant Ciba seule avec son appréhension. Un cri terrifiant retentit derrière une montagne et Macoma-le-Gigantesque apparut dans tout son immensité.

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L'AFFRONTEMENT ULTIME

Il était effectivement gigantesque, et loin d'être une tortue, à la grande déception de Ciba. Il ressemblait plutôt à un monstrueux lézard, avec sa tête profilée et sa longue queue. Ses pattes de derrière se terminaient par d'énormes griffes et celles de devant, aussi griffées, ressemblaient plutôt à des mains. Plus il approchait, plus les écailles de sa peau grise devenaient évidentes. Et la pluie commença à tomber.

- Où est cette petite impertinente?, cria le monstre.

- Je... je suis ici, risqua Ciba, toute tremblante.

Le dinosaure remua la tête, balayant du regard les moindres fissures du littoral. Il aperçut Ciba, juchée sur une grosse pierre près d'une île arrondie, et se cambra sur ses énormes pattes.

- Tu n'as pas peur de mourir?, menaça-t-il.

- Heu, non, risqua Ciba. Je ne suis pas venue pour te déranger...

- Trop tard, tu l'as fait. Et je n'aime pas celui qui me dérange.

- Je ne suis pas "un", mais "une"...

Macoma poussa un rugissement sourd et s'avança vers Ciba.

- Petite effrontée, attends que je te réduise au silence!, lança-t-il.

- Mais, attends! Pourquoi ne pourrait-on pas s'entendre pour partager le Pays-Mystère, toi, moi et les autres animaux qui ne peuvent venir, et même les Humains.

- Les Humains, tu n'y penses pas? Ils abattent les arbres, tuent et mangent les animaux...

- Toi aussi, tu dois tuer pour manger, que ce soit des plantes ou des animaux!

Le grand reptile, outré par tant d'arrogance venant d'une si petite tortue, fonça vers Ciba, soulevant des gerbes d'eau et de vase. Ciba plongea et profita de l'eau troublée pour passer entre les pattes du monstre et aller se percher devant une petite montagne s'avançant sur la plage. La pluie tombait de plus en plus forte et les éclairs illuminaient le ciel.

- Je voudrais être ton amie!, cria Ciba pour couvrir le bruit du tonnerre et la colère de Macoma.

- Je veux être seul dans cet endroit, rugit le dinosaure dont la frustration montait. Je ne veux pas me laisser envahir par d'autres animaux, je veux la paix...

- Mais tu ne comprends pas, nous pouvons très bien partager. Le Pays-Mystère est assez grand pour...

Ciba n'eut pas le temps de finir; le monstre la repéra et tenta de lui asséner un coup fatal avec son immense queue. Mais la tortue s'esquiva et replongea aussitôt. Sa cible ratée, la queue du saurien s'abattit avec fracas sur le cap voisin. Le coup porté à la montagne fut tel qu'il y laissa un trou béant en plein milieu.

Le dinosaure, frustré d'avoir raté une si faible cible, se mit à chercher frénétiquement dans l'eau remplie de sable et de vase. Ciba sentait les pattes du monstre passer tout près d'elle, la ratant de peu. Mais elle gardait confiance.

Tout à coup, émergeant de l'eau vaseuse, elle réussit à apercevoir le Balbuzard en compagnie d'autres oiseaux-chasseurs qui fonçaient sur Macoma-le-Gigantesque, le harcelant de toutes parts.

Ciba reconnut le Hibou de la veille, puis un oiseau-chasseur aux ailes effilées qui piquait sur le monstre à une vitesse vertigineuse, puis un autre, et un autre. Macoma-le-Gigantesque se débattait tant bien que mal pour se débarrasser de cette volée de nouveaux assaillants. Il se levait sur ses pattes de derrière, haut dans le ciel, essayant de ses bras de frapper les oiseaux-chasseurs.

Mais les oiseaux, agiles et rapides, esquivaient chaque coup du reptile. De plus en plus, celui-ci se remplissait de rage et de fureur. Non seulement une minuscule tortue, étrangère en plus, était-elle venue le narguer, mais voilà que les oiseaux s'unissaient contre lui et le dardaient de tous côtés.

Pendant que le monstre se débattait avec les rapaces, Ciba en profita pour se réfugier sur un petit îlot formé d'une étrange diversité de roches. Ciba sentait sa confiance monter en elle; elle n'était plus seule contre Macoma. Mais elle se demandait bien comment ils allaient venir à bout du grand reptile. Elle se questionnait aussi sur la vision du Grand-Esprit-du-Vent-Marin; elle ne voyait vraiment pas comment Macoma pourrait demeurer dans le Pays-Mystère et permettre la venue des autres animaux.

La réponse vint du ciel. Dans un grondement sec et puissant, un éclair jaillit et frappa le reptile de plein fouet sur le côté. Il hurla de douleur et s'affaissa quelques instants.

- C'est sûrement le Grand-Esprit qui a lancé cet éclair, se dit Ciba. Mais je crains que ce ne soit pas suffisant...

En effet, Macoma-le-Gigantesque, quoiqu'ébranlé, se releva et dans un tourbillon de désespoir, laboura le ciel de coups de griffes. Plus il se débattait, plus il s'approchait de l'îlot rocheux de Ciba.

Alors qu'il n'était plus qu'à quelques pas, un second éclair, plus puissant que le premier, surgit des nuages et transperça Macoma de part en part. Poussant un terrible hurlement plaintif, il vacilla quelques instants, croisa Ciba d'un regard à la fois cruel et triste, et s'effondra lourdement dans la marée montante. Son corps heurta la baie dans un fracas assourdissant, soulevant sable, vase et rochers.

Tout le Pays-Mystère sembla secoué par sa chute spectaculaire mais, petit à petit, le calme s'installa. Ce fut alors le silence. Un silence solennel, presque magique; Macoma-le-Gigantesque venait de mourir.

Ciba ne réalisait pas encore ce qui venait de sa passer. Elle, une si petite tortue sans défense et lui, un énorme et puissant dinosaure à jamais rayé du monde des vivants.

Les montagnes du Pays-Mystère retournaient de temps en temps un bruit sourd; l'écho de la chute de Macoma? Ou l'effondrement d'une quelconque falaise dû au choc de la mort du monstre?

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RENAISSANCE AU PAYS-MYSTÈRE

Ciba quitta l'Ilot-à-la-Roche-Criblée, plongea et refit surface à peu de distance du corps de Macoma-le-Gigantesque. Le reptile était étendu sur le ventre, de tout son long, la tête appuyée sur un bras. Pour être mort, il était bel et bien mort! Nul mouvement, nulle réaction. Il était tombé tout près d'une grande prairie salée, en apparence recouverte uniquement d'herbes vertes ondulant au vent. Mais en y regardant de plus près, Ciba remarqua ça et là des bouquets de délicates fleurs bleu lavande et de petites tiges aux minuscules fleurs d'un blanc rosé et aux petites feuilles gorgées d'eau. Elle repéra aussi une plante aux feuilles pointues qu'elle brouta avec satisfaction évidente, assaisonnée d'une drôle de petite tige en forme de cactus et au goût légèrement salé!

- La richesse du Pays-Mystère n'est pas toujours évidente à première vue, avoua-t-elle. Vaut mieux être plus attentive.

Ciba constatait d'ailleurs que plusieurs plantes du Pays-Mystère portaient des feuilles assez épaisses, surtout celles près de la mer, comme cette plante vue plus tôt sur les galets d'un cap, avec ses feuilles teintées de bleu et recouvertes d'une mince couche cireuse.

- Peut-être pour se protéger, conclut la tortue rassasiée.

Ciba nagea jusqu'à Macoma pour se rendre compte qu'il était, surprise, complètement pétrifié, transformé en roche! Elle distinguait très nettement les doigts du monstre et au milieu du corps, la blessure fatale de la foudre. Elle remarqua aussi l'autre blessure, plus bas sur le corps du monstre, causée par le premier éclair. Le sol autour était tapissé d'écailles grises que le reptile avait perdues durant la bataille. Mais peu à peu, les écailles tournèrent au blanc crémeux.

Les nuages et la brume se dissipèrent. Le soleil remplit la baie d'une chaleur peu connue jusqu'alors. L'air portait encore les échos de la bataille, puis doucement le silence fit place au chant des oiseaux-de-la-forêt, au clapotis des vagues, au froissement des feuilles.

- Grand-Esprit, demanda Ciba, serais-tu pour quelque chose dans ce qui vient d'arriver?

- Je ne dirige pas les forces de la nature, mais je peux les influencer un peu... Ça m'a permis, grâce à toi, de réaliser le Grand Changement dans le Pays-Mystère.

- Mais je n'y suis pour rien!

- Au contraire, par ta bravoure, tu as réussi à rendre Macoma fou de rage, ce qui lui a fait perdre la tête. Il a ainsi oublié que lorsque l'orage frappe, l'endroit le plus haut est atteint. Il s'est levé de toute son immensité et l'éclair l'a frappé.

- C'est bien vrai, reconnut Ciba, un peu confuse.

Mais il a eu ce qu'il voulait; il demeurera à jamais dans le Pays-Mystère. Ses écailles deviendront des petits coquillages et perpétueront son souvenir, désormais symbole de paix. Et les autres animaux pourront désormais y venir en toute quiétude, de même que les Humains. Le Pays-Mystère deviendra un havre de calme et de repos.

Les oiseaux-chasseurs vinrent retrouver Ciba.

- Merci, fit-elle, sans vous je n'aurais pu m'en sortir.

- Le Grand-Esprit t'accompagnait, dit le Hibou. Tu as eu confiance en toi et nous aussi. C'est pourquoi nous sommes venus t'aider.

Ciba se tourna vers l'oiseau-chasseur au vol rapide.

- J'ai souvent vu passer des oiseaux comme toi au-dessus du Pays-des-Palmiers. Tu voles vraiment rapidement!

- Je suis un Faucon. Quand je pique en refermant les ailes, je peux atteindre des vitesses extraordinaires. Je demeure dans la falaise de la Montagne-qui-Domine, le sommet le plus haut d'où je peux admirer tout le Pays-Mystère. Puis-je te féliciter pour ton courage car, sans toi, nous n'aurions jamais connu la paix dans ce pays.

- Je n'ai fait que ce que ma conscience me disait de faire.

Un étrange hurlement, comme une plainte fantomatique, se fit entendre, se répercutant de falaise en falaise, de cap en cap.

- Mais qu'est-ce que c'est encore?, demanda Ciba, anxieuse.

- Je crois que c'est le Huart. Ce doit être un jeune, les plus vieux font leur nid sur les lacs du Pays-de-la-Grande-Forêt. C'est la première fois que j'entends ce cri ici... C'est merveilleux!

- Ah oui! Peux-tu m'expliquer?

- C'est un cri qui invite les animaux à venir visiter un endroit très prometteur. À cause de Macoma, il n'avait jamais été entendu dans le Pays-Mystère. Mais maintenant que le Grand Changement a eu lieu, le Huart peut enfin lancer son appel de bienvenue.

- J'aimerais bien le voir pour l'encourager...

Il est parfois difficile à repérer, malgré sa taille, car son cri peut porter très loin et, heureusement, être compris par beaucoup plus d'animaux. Mais si je le vois, je lui transmettrai ton message, vaillante tortue.

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BONNE NOUVELLE POUR LES EIDERS

Les oiseaux-chasseurs repartirent chacun de leur côté en saluant Ciba qui demeura seule dans la Baie-des-Brumes-Ensoleillées. L'eau étant redevenue plus claire, Ciba s'y plongea pour se débarrasser du sable et de la vase accumulés lors de l'escarmouche avec le reptile géant. Elle barbota quelques instants dans l'eau, retrouvant avec joie sa propreté habituelle, laissant sable et vase se déposer au fond.

Elle nagea vers une petite île au bord de laquelle elle aperçut un groupe de canards.

- Bravo pour ta prouesse, fit l'un d'eux. Nous pouvons maintenant venir flâner à notre guise dans le Pays-Mystère. Je crois même que nous allons y établir nos nids.

- Tiens, remarqua Ciba, comme il y a de nouveaux animaux ici...

- Nous sommes des Eiders, des canards marins. Nous vivons là où nous pouvons plonger pour attraper notre nourriture, soit des animaux coquilles. Nos cousins, les canards de l'Anse-Verte, mangent plutôt des herbages... Mais je crois que c'est plutôt toi le nouvel animal ici...

- C'est vrai. Je viens du Pays-des-Palmiers, mais je me sens tellement chez moi, maintenant. J'aimerais rester toujours ici.

- Même durant la saison-où-tombe-la-neige?

La question saisit Ciba; pour la première fois elle se rendit compte de la complexité de sa situation. Elle aimait son nouveau pays mais ni elle ni ses jeunes ne pourraient y survivre, c'était l'évidence même. La saison-où-tombe-la-neige finirait par arriver tôt ou tard et Ciba n'était pas prête à faire face au grand froid. Et elle ne pouvait pas retourner dans son pays, car il lui fallait pondre sous peu. Vraiment, il y avait un grave problème.

- Je dois pondre mes œufs, mais si je le fais, mes jeunes ne pourront survivre, confia Ciba aux Eiders.

- Peut-être, suggéra un canard à son groupe, pourrions-nous lui fournir assez de chaud duvet pour passer la saison-où-tombe-la-neige!

- Mais je dois plonger, nager pour me nourrir, répliqua Ciba. Si la mer est gelée, comment vais-je faire? Et de toute façon, l'eau du Pays-Mystère est vraiment froide.

- Ouais. Nous, notre problème, c'est quand nous mangeons en compagnie de nos jeunes; nous devons plonger et les laisser sans surveillance à la surface. C'est inquiétant; les Goélands rôdent...

Ciba devint songeuse; elle qui n'avait pas de solution à son problème, allait-elle être capable d'en trouver à ceux des autres? Mais elle se rappela le bonheur qu'elle avait contribué à créer dans le Pays-Mystère en éliminant la crainte de Macoma-le-Gigantesque. Rendre service aux autres, après tout, c'était plaisant, et un jour quelqu'un viendrait l'aider à son tour!

- Vous n'avez qu'à vous regrouper, plusieurs familles ensemble, suggéra Ciba, toute heureuse!

- Quelle bonne idée, s'exclama une mère!

- Et nous, s'inquiéta une jeune femelle, que pourrions-nous faire, en attendant d'avoir nos propres jeunes?

- Bien, renchérit Ciba après quelques instants, vous pourrez vous joindre aux mères avec leurs petits. Vous les aiderez grandement et ainsi perfectionnerez cette nouvelle tactique anti-goéland!

- Merci beaucoup, reprit une autre mère. Pour te remercier, nous te promettons que quoiqu'il advienne, à la prochaine saison-des-nouvelles-vies nous aiderons tes petits à retrouver la route de ton Pays-des-Palmiers. Pour le moment, il nous faut trouver une île tranquille pour faire nos nids. Au revoir.

- Vous êtes bien gentilles. Salut à vous, et merci.

Ciba quitta les Eiders, soulagée de cet espoir de survie pour ses jeunes. À peine avait-elle donné quelques coups de nageoires qu'elle s'enroula dans une touffe d'herbes flottantes. Réussissant tant bien que mal à s'en départir, elle se jucha sur un rocher.

- Faut se méfier de ces herbes, fit un petit canard aux yeux jaune vif qui barbotait près de là. Quand elles se détachent, elles deviennent embarrassantes. Comme les Herbes-Marines-qui-S'accrochent-aux-Roches, ces plantes poussent complètement dans l'eau et sont parfois arrachées par les vagues. Tu sais, c'est la nourriture préférée des grandes Outardes lorsqu'elles passent par ici durant leur long voyage vers les vents chauds.

- C'est intéressant. Et toi tu es...

- Un canard Garrot. Je suis dans le Pays-Mystère presqu'à longueur d'année. Écoute, j'ai quelque chose à te faire entendre pour t'aider à me reconnaître de loin.

Le Garrot s'envola d'une petite course sur l'eau, fit un grand cercle et vint passer comme un flèche au-dessus de Ciba, qui entendait très bien le sifflement aigu de ses ailes battant à un rythme accéléré.

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PETITE DOUCEUR DE LA MER-QUI-MONTE

Le Garrot alla rejoindre ses compagnons, plus loin, tandis que les Eiders s'éloignaient en contournant la Montagne-Trouée, celle qui avait reçu le coup de queue de Macoma-le-Gigantesque. Ce coup avait été tellement fort que de l'autre côté du cap, des rochers s'étaient détachés de la paroi et s'entassaient maintenant au pied de la falaise. Ciba pensait qu'il pourrait y avoir là un bon abri pour la nuit.

Elle quitta l'Ile-des-Canards-Errants et alors qu'elle se dirigeait vers la Montagne-Trouée, elle sentit la chaleur de l'eau augmenter. Savourant la douce caresse de l'eau chaude sur sa peau, ce qui lui rappelait le Pays-des-Palmiers, elle fit une pause.

Ciba remarqua que l'eau montait doucement, emplissant lentement chaque creux de la plage, chaque cuvette de roche. Nostalgique, elle se rappela que la mer avançait et reculait aussi dans son pays, deux fois par jour; Ciba était persuadée que la lune avait un rapport avec ce phénomène, puisque le mouvement de la mer-qui-monte-et-descend suivait le voyage de l'astre de la nuit.

Ciba toucha la plage de la Montagne-Trouée, près des rochers éboulés. Le sable était presque brûlant. Ciba en déduisit que ce devait être ce sable qui, chauffé par le soleil, réchauffait à son tour l'eau de la mer-qui-monte. Elle examina les rochers entassés au pied de la Montagne-Trouée, et décida finalement de ne pas s'y aventurer, étant peu à l'aise dans l'escalade.

Il y avait là aussi une belle plage, mais d'un sable pas assez fin au goût de Ciba. La grève était plutôt composée de cailloux et de galets à la limite desquels poussaient de belles petites fleurs jaune luisant à la feuille au dessous d'argent. Ces fleurs, qui semblaient ramper sur le sol, étaient entourées de grandes tiges minces, un peu comme celles que faisaient pousser les Humains près de leurs abris.

Ciba retourna dans le courant chaud croisé plus tôt et décida de se reposer un peu de ses émotions, flottant paresseusement, se laissant bercer par la houle envahissant la Baie-des-Brumes-Ensoleillées.

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RÉVEIL SUR LA PLAGE

Ciba se réveilla brusquement. Échouée sur la plage, elle se rendit compte qu'elle s'était endormie et se retrouvait maintenant tout au fond de la Baie-des-Brumes-Ensoleillées. Se retournant, elle voyait la nouvelle montagne formée par le corps de pierre de Macoma-le- Gigantesque qui, vu sous cet angle, ressemblait à une grosse bosse ronde. Au loin, elle remarquait la Pointe-aux-Arbres-Effilés et, encore plus loin, l'Ile-à-la-Pointe-Enragée.

Un curieux petit oiseau clopinait de long en large sur la plage, l'aile cassée, poussant de stridents cris de détresse.

- Pauvre ami, soupira Ciba, es-tu souffrant? Que t'est-il arrivé?

- Heu... je ne suis pas réellement blessé, hésita l'oiseau qui cessa son manège et s'approcha lentement de Ciba. Je fais ceci pour attirer les intrus loin de mon nid. J'étais en train de m'exercer!

- Ah bon, ça doit être assez efficace! Et ton nid, où est-il?

- Dans l'Anse-verte, là-bas. C'est la prairie tapissée d'herbages que la marée visite de temps à autres. Macoma-le-Gigantesque, dans sa chute, a bien failli la faire disparaître aussi. Heureusement, il est tombé juste à côté.

- Il me semble te reconnaître...

- Excuse-moi, je me présente. Je suis un Kildir, de la tribu des Pluviers. Nous fréquentons énormément les plages, en quête de petits animaux, mais nous aimons aussi les grands espaces.

- Ah, c'est vous que j'ai déjà vu voler en groupes serrés, virevoltant en tout sens d'un seul trait.

- Non, ces acrobates sont des Bécasseaux, de proches parents. Avec leur long bec, ils peuvent mieux fouiller dans la vase.

- Je crois que j'en ai vu tantôt. Il y en a aussi aux grandes pattes.

- Vrai. Bon, maintenant que tout semble entré dans l'ordre, je retourne dans l'Anse-Verte. J'espère que le Bihoreau y sera revenu lui aussi...

- Le Bihoreau?

- Oui, c'est le cousin du Héron. Nous aimons bien fréquenter la belle prairie salée...

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LA MONTAGNE-DES-GRANDES-AIGUILLES

Ciba laissa le Kildir rejoindre son ami au nom bizarre et fit le point sur son aventure. Elle avait dévié du trajet que lui avait indiqué le Héron pour atteindre l'Anse-de-la-Plage-Douce. Par où continuer?

Un air salin tira Ciba de ses réflexions. Pensant enfin atteindre la plage tant recherchée, elle quitta la Baie-des-Brumes-Ensoleillées et marcha dans le vent, se retrouvant sur un grand plateau rempli de petits arbustes, les uns couchés aux fruits bleu pâle, les autres plus hauts aux fleurs rouges, roses et blanches et au parfum enveloppant.

La faim la gagnant, Ciba se risqua à goûter les petits fruits bleu et blanc, qu'elle trouva un peu amers. Elle leur préféra les fruits charnus bleu foncé d'une petite plante aux feuilles épaisses et les rouges juteux d'une autre aux feuilles finement dentelées.

Ciba se sentit tout à coup un peu enivrée; était-ce à cause des fruits, ou simplement dû à l'ivresse procurée par cette beauté débordante du Pays-Mystère? Sans s'interroger davantage sur cette étrange sensation, Ciba continua jusqu'à une autre anse.

- Ha! Ha! fit-elle en admirant cette belle et grande baie remplie de lumière, serais-je rendue enfin dans... Mais non, ce n'est pas la plage dont m'a parlé le Héron. Dommage, elle est invitante...

Sur le sable de cette nouvelle baie, elle admira la montagne toute proche, à sa droite. Son sommet offrait une couleur différente, un vert plus foncé et plus uni, et Ciba s'en étonna. Elle approcha de cette Montagne-Couronnée. Un petit poilu-quatre-pattes noir, à longs poils, déambulait à l'orée du bois.

- Hé, toi là-bas, lança Ciba, pourrais-tu me dire pourquoi le sommet de cette montagne est si différent du reste?

- Un jour, répondit le poilu-quatre-pattes, Macoma-le-Gigantesque a tenté d'assommer un oiseau-chasseur de sa lourde queue et il a tout rasé le haut de la montagne. Nous, les Porc-Épics, on s'est arrangé pour qu'il n'y repousse que des Arbres-à-Grandes-Aiguilles, qui sont d'un vert plus foncé que les autres.

- Des arbres-à-grandes-aiguilles comme tes poils?

- Exact! Comme ça, avec nos grands poils, nous pouvons mieux nous cacher parmi les grandes aiguilles! Maintenant que Macoma-le- Gigantesque est disparu, mes frères et sœurs allons pouvoir sortir un peu de notre cachette pour aller mieux explorer le Pays-Mystère; nous aimerions pouvoir manger autre chose que de l'écorce d'Arbres-à-Grandes-Aiguilles...

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RETROUVAILLES AVEC LES GOÉLANDS

Ciba se sentit de nouveau ragaillardie. La joie du départ de Macoma-le-Gigantesque se répandait à la grandeur du Pays-Mystère. Elle se sentait partie prenante de cette joie, et cela la remplissait de bonheur. Elle regagna la plage de la Baie-Éblouissante, entra dans l'eau, et longea plusieurs instants le rivage gauche de la baie.

Quelque temps après, elle arriva dans une petite anse, tout près d'une montagne qui n'était reliée au rivage que par une mince bande de sable.

- Ah, fit Ciba qui se souvenait des propos du Caribou, ce devait être une île, avant.

Les vagues amenaient des milliers de petits poissons qui roulaient en masse sur la plage, où ils demeuraient au retrait de l'eau, frétillants et étincelants au soleil. Quand Ciba se rendit compte qu'ils venaient pour y pondre leurs œufs, elle eut un pincement de cœur; elle aussi avait quelque chose à faire...

- Tiens, fit un Goéland à proximité, tu t'en es sortie?

- Hé oui, clama Ciba qui reconnut un des chamailleurs de l'Île-aux-Arbres-Brûlés, tu n'auras pas la chance de nettoyer la plage de mon corps!

- Tant mieux pour toi. Puis nous, avec tous ces Capelans qui meurent après leur ponte, nous avons assez de nourriture pour un bon bout de temps.

- Et quand il n'y aura plus de... Capelans?

- Bah! Nous irons nous reposer un peu sur l'Étang-Carré, tout près d'ici, en compagnie des grenouilles, puis nous irons à la recherche d'autres choses.

Ciba quitta aussitôt l'Anse-des-Capelans-qui-Roulent pour gagner le large. Elle ne sympathisait pas beaucoup avec les Goélands, mais elle les plaignait quand même un peu. Ils étaient de superbes oiseaux, avec leurs ailes élancées, mais ils avaient cette tâche ingrate de nettoyer la plage des carcasses.

- À chacun son rôle dans le Pays-Mystère, se dit-elle en sortant la tête de l'eau.

Elle était également triste pour ces petits Capelans qui mouraient après avoir accompli leur devoir pour la survie de leur espèce. Mais c'était leur façon à eux de faire suivre son cours à la vie!

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DOUCE DÉRIVE DANS LE PAYS-MYSTÈRE

Ciba fit de nouveau le point. Devant elle un rivage mi-galets mi-sable au pied d'une montagne à la falaise abrupte. Plus loin, en regardant par dessus, une autre montagne, plus haute, portant elle aussi une falaise: la Montagne-qui-Domine, sûrement!

- Les montagnes du Pays-Mystère qui font face à la mer ont toute une falaise, remarqua-t-elle. Peut-être le résultat d'anciennes bagarres de Macoma-le-Gigantesque!

Elle distingua une silhouette qui planait très haut dans le ciel, au-dessus de la Montagne-qui-Domine, effectuant quelques fois des piqués fulgurants au ras des arbres. Toute heureuse, elle reconnut le Faucon venu l'aider contre Macoma-le-Gigantesque! Elle progressa encore vers le large et prolongea le plaisir de nager dans cette eau bleue, au beau milieu de ce panorama spectaculaire, goûtant chaque instant de son étonnant voyage.

À un moment, elle jeta un coup d'oeil au fond, au cas où elle verrait le phoque ou la baleine rencontrés plus tôt. Il... il n'y avait plus de fond! Tout était complètement noir! Ciba, qui préférait les eaux peu profondes, ne laissa pourtant pas la peur la gagner.

- Que l'eau soit profonde ou pas, qu'est-ce que ça change?, réfléchit-elle. Je sais tout aussi bien flotter et nager!

S'appaisant peu à peu, elle réalisa alors que ce qu'elle avait pris pour un fond noir était tout simplement un amoncellement d'Herbes-Marines-qui s'accrochent-aux-roches. En examinant plus attentivement, elle distingua mieux les longues-lames-qui-flottent dont le brun verdâtre, assombrissait le fond. La vie s'y promenait, sous des formes diverses; tantôt une Etoile-marine ou une Coquille-en-spirale, tantôt une Boule-de-piquants ou une Carapace-à-deux-pinces...

Il y avait dans ce monde marin des formes tellement drôles, pour ne pas dire bizarres; des animaux-mous en forme de pêche, d'éponge, de fleur, de petit arbre et même de manche de couteau, cet outil humain peu rassurant! Des poissons avec une barbichette sous le menton ou un corps très allongé, d'autres avec les nageoires en éventail ou pleins de piquants. Ajoutant à cela les petits chapeaux et volcans blancs collés sur les rochers de la marée, oui vraiment, il y en avait pour tous les goûts, dans ce Pays-Mystère!

Le souffle d'une profonde respiration tira Ciba de sa contemplation. Tout près d'elle, eh oui, naviguait une grande baleine!

- Salut à toi, tortue marine, fit-elle. Tu es venue toi aussi du Pays-des-Palmiers pour profiter de l'abondante nourriture qu'il y a ici?

- Pas exactement. Mais, dis moi, vous voyagez toujours ainsi, vous, les grandes baleines?

- Nous descendons dans les mers chaudes pour mettre nos jeunes au monde, mais nous revenons ici la saison-où-tout-fleurit.

Un brin de nostalgie envahit la petite tortue.

- Je n'ai pas le temps de te parler plus longtemps, reprit l'énorme animal, je suis à la recherche de petites crevettes pour mon dîner! Si tu cherches une baleine qui reste à l'année dans les parages et qui vient même de temps à autre dans le Pays-Mystère, tu auras plus de chance avec le Marsouin Blanc. Maintenant je te quitte, au revoir.

- Dommage, à la prochaine, lança Ciba, un peu étonnée.

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GRAND CONSEIL PRÈS DE LA PLAGE DOUCE

Ciba regarda l'impressionnante affamée s'éloigner, un peu déçue de ne pas avoir fait plus ample connaissance. Elle arriva à la pointe de la Montagne-Couronnée. Un drôle de petit oiseau, noir au-dessus et blanc en dessous, se tenait debout sur un rocher.

- Ça alors, réfléchit Ciba tout haut, un autre oiseau que je n'ai jamais vu avant!

- Mais où restes-tu pour dire cela, drôle d'animal à carapace?, répliqua l'autre.

- Du Pays-des-Palmiers...

- Pas surprenant que tu ne m'aies jamais vu! Je suis un petit Pingouin, de la famille des oiseaux-qui-volent-aussi-dans-l'eau, tout comme le Guillemot, qui me ressemble un peu.

- Ah oui! Je crois qu'il y en a de l'autre côté du Pays-des-Palmiers, dans un pays de grand froid...

- Eux, ce sont des manchots; ils ne volent pas dans les airs. Mais nous, nous volons, aussi bien dans les airs que dans l'eau!

- Dans l'eau?

- Bien c'est-à-dire que nous utilisons nos ailes pour nous aider à nager. Elles sont petites, mais très efficaces...

- Un peu comme je fais avec mes nageoires?

- Bien dit!

Malgré l'amabilité de l'oiseau, Ciba ne désirait pas s'attarder davantage. Elle dépassa la pointe de la Montagne-Couronnée et aperçut, de l'autre côté, un relief au profil familier; c'était la Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer, mais vue d'un autre côté! Comme plusieurs montagnes du Pays-Mystère, le versant qui faisait face à la mer présentait une falaise presque verticale tandis que le flanc opposé descendait plus régulièrement.

- L'Anse-de-la-Plage-Douce serait-elle entre la Montagne-qui-Tombe- dans-la-mer et la Montagne-Couronnée?, se demanda-t-elle.

Par de vigoureux coups de nageoires, elle atteignit rapidement la plage qu'elle avait pressentie. Son cœur tressaillit de nouveau; était-elle enfin rendue à l'Anse-de-la-Plage-Douce? Comme l'avait dit le Héron, s'étendait devant elle une grande plage de sable blond. Sur le haut de la berge s'entassaient plein d'arbres morts apportés par la marée. La joie de Ciba était sans bornes; c'était l'Anse-de-la- Plage-Douce! Enfin! Rayonnante, elle aborda la plage et s'y traîna, jouant dans le sable chaud où elle pourrait enfin déposer ses œufs.

Mais une rumeur semblait venir de la forêt voisine. Quand pourrait-elle enfin pondre ses œufs en paix? Ciba s'aventura dans la forêt, guidée par les voix, et arriva dans un petit sentier qu'elle emprunta jusqu'à une petite clairière où plusieurs poilus-quatre-pattes étaient réunis.

- Oh, excusez-moi, fit-elle, embarrassée, je ne voulais pas vous déranger.

- Non, non, invita le poilu-quatre-pattes à grand panache qui semblait diriger la réunion, sois la bienvenue. Mes amis, poursuivit-il en se tournant vers les autres animaux, je vous présente la responsable du Grand Changement survenu dans le Pays-Mystère.

Tous et toutes applaudirent chaleureusement.

- Es-tu aussi un Caribou?, demanda Ciba.

- Non, je suis un Orignal. Je te présente la Marmotte, l'Écureuil, le Lièvre, le Renard, le...

Un tambourinement sec lui coupa la parole.

- Oh, fit-il, levant les yeux vers un arbre-aux-feuilles-qui-tombent, excusez-moi, il y a aussi le Pic, la Gélinotte...

- Et que faites-vous ici?, risqua Ciba.

- Nous sommes en Grand Conseil des animaux, reprit l'Orignal. Maintenant que nous, les poilus-quatre-pattes, pouvons maintenant venir à notre aise dans le Pays-mystère, grâce à toi, chère tortue du Pays-des-Palmiers, nous nous répartissons le territoire; chaque animal aura droit à une partie du Pays où il pourra vivre et élever ses jeunes.

- Toi, fit Ciba, tu restes ici?

- Non, rétorqua l'Orignal, je vis dans le Pays-de-la-Grande-Forêt, plus haut. Je descends jusqu'au rivage seulement pour des occasions spéciales. Nous avons choisi cette clairière pour y tenir désormais nos Grands Conseils.

- Je dois malheureusement vous quitter; ma ponte approche...

Ciba laissa la Clairière-des-Grands-Conseils et retourna vers la plage. Un moment désorientée au croisement de deux sentiers, elle s'immobilisa et prêta l'oreille; le chant des vagues déferlant sur la plage parvenait faiblement jusqu'à elle. Aidée par le son, elle se dirigea vers sa provenance. Plus elle s'approchait de l'Anse-de-la-Plage-Douce, plus le son du ressac s'amplifiait. Elle déboucha enfin dans la baie, toujours illuminée de soleil plein les vagues.

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ESPOIR DE NOUVELLE VIE

Le temps était venu, le temps pour Ciba de procréer. Elle se faufila entre les arbres rejetés par la marée et identifia un petit espace propice. Elle y creusa un trou assez profond puis, délicatement, un a un, elle y déposa ses œufs.

Une certaine tristesse l'envahissait; comment elle et ses petits allaient-ils s'en tirer durant la saison-où-tombe-la-neige?

Lorsqu'elle eut terminé, elle recouvrit ses œufs de sable. Ils allaient ainsi se développer, en attendant le jour où les petites tortues pourraient en sortir pour se diriger immédiatement vers la mer et, espérait-elle, être prises en charge par les Eiders rencontrés dans la Baie-des-Brumes-Ensoleillées.

Ciba descendit plus bas sur la plage et contempla le panorama, nez au vent, face au soleil maintenant haut dans le ciel. Oui, le Pays-Mystère était vraiment un beau pays. La tortue pensait au moyen de satisfaire elle aussi son désir de demeurer dans ce pays, tout comme Macoma-le-Gigantesque.

- Grand-Esprit, fit-elle soudain, je crois que j'ai trouvé une solution à mon problème!

- Ah oui, répondit la voix. Et quelle est-elle?

- Peux-tu me transformer en rocher?

- Heu... Tu es certaine?

- Bien oui, comme ça, je demeurerai pour toujours dans le Pays-Mystère! Bien sûr je ne pourrai plus me déplacer mais, au moins, je pourrai résister au froid de la saison-où-tombe-la-neige.

- Tu ne veux plus retourner chez toi?

- Non. D'une part, il est trop tard cette saison pour entreprendre un si grand voyage. D'autre part, je trouve ce coin si merveilleux que j'aimerais y rester pour toujours.

- Si tel est ton souhait... Où veux-tu t'installer?

Ciba vagabonda quelques moments sur la plage et grimpa sur les rochers du bout de la Montagne-qui-Tombe-dans-la-Mer, qu'elle préférait maintenant appeler la Montagne-du-Sage-Orignal. L'air était rempli d'une douce odeur qui la suivait le long de la mer et qu'elle découvrit provenir d'un petit tapis d'arbustes aux fruits noirâtres. Elle se cramponna sur le cran, toujours nez au vent, devant une mer calme à peine agitée où miroitait l'astre du jour.

- Ici, dit-elle enfin.

- Tu as été une courageuse tortue, Ciba, dit le Grand-Esprit. Tu as permis de ramener la paix dans le Pays-Mystère, tu as laissé cet endroit encore plus beau que lorsque tu y es arrivée; tu as réalisé un défi noble et généreux. Tous les animaux t'en seront éternellement reconnaissants. Dommage que tu ne puisses y vivre sous ta forme actuelle, mais ainsi va la vie; il y a une place pour chacun et chacune dans la nature et pas ailleurs. Je vais attendre que la noirceur soit tombée et j'essaierai d'exaucer ton souhait.

Ciba passa le reste de cette mémorable journée à se gorger de cet air marin si précieux à ses narines. Le soleil descendait lentement à l'horizon; elle refit son voyage merveilleux dans le Pays-Mystère, revoyant chaque coin de rocher, chaque nouvel ami rencontré. Elle se rappela alors toutes ces formes, ces figures que lui suggéraient les multiples rochers et falaises des îles et des caps du Pays-Mystère; un profil d'Humain par ci, un dos de Baleine par là, une tête d'oiseau plus loin...

- C'est toi qui les as ainsi transformés?, demanda-t-elle au Grand-Esprit.

- Eh oui! Ils ne voulaient pas que leur corps disparaisse après leur mort. Ils voulaient demeurer dans le Pays-Mystère, comme toi et Macoma-le-Gigantesque. Ainsi transformés en pierre, ils sont protégés. Et les Humains qui viendront visiter le Pays-Mystère ne les dérangeront pas, puisqu'ils ne les remarqueront même pas. Sauf peut-être ceux et celles qui connaîtront le "secret"...

Le soleil tourna au jaune puis au rouge éclatant. Le ciel se teinta de toutes les couleurs. Dans la mer, les oiseaux-nageurs s'étaient regroupés près de la pointe de la Montagne-du-Sage-Orignal. Les Poilus-quatre-pattes étaient assis à l'orée du bois, près de l'Anse-de-la-Plage-douce. Les oiseaux-chasseurs tournaient au-dessus.

- Bon, ça y est, fit Ciba, résignée.

- Au revoir, dit le Grand-Esprit. A une prochaine fois, peut-être...

Ciba reprit sa position, face au soleil couchant, tournée vers la mer. Un éclair zigzagua le ciel, illuminant un instant le Pays-Mystère, mais sans aucun tonnerre l'accompagnant. Les animaux poussèrent une longue plainte d'adieu, puis ce fut un silence à la fois triste et heureux; plus personne ne reverrait Ciba dans sa forme vivante, mais elle continuerait d'errer à son aise dans le Pays-Mystère.

Le petit Pinson-à-la-Gorge-Blanche débuta son concert crépusculaire, avec une douce complainte mélodique qu'il avait composée pour l'occasion, accompagné par les Grives-au-Chant-Flûté et leur cascade de notes harmonieuses. Les Huarts enchaînèrent, avec leur invitation musicale. Tous et toutes s'en retournèrent ensuite les uns dans leur nid, les autres dans leur tanière, leur bosquet, leur arbre...

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EN SOUVENIR DE CIBA

Les Eiders demeurèrent près de la Tortue de pierre toute la nuit. Le lendemain, ils la quittèrent et traversèrent sur la grande île, en face de la Montagne-du-Sage-Orignal. Une fois rendus, ils jetèrent un coup d'oeil à Ciba.

- Nous ne pouvons pondre nos œufs ici, remarqua l'aînée des mères, Ciba va tout voir! Peut-être cela lui fera-t-il trop de peine. Il ne faudrait pas être la cause d'un plus grand chagrin pour elle. Allons plutôt chercher une autre île, à l'abri de son regard, afin de lui permettre un repos plus paisible.

- C'est juste, répondit une autre femelle. J'ai entendu parler d'une autre petite île, tout près d'ici. Il y a juste assez d'espace pour nous y accueillir et juste assez d'arbres pour nous y abriter et protéger nos nids.

D'un commun accord, les Eiders quittèrent le littoral de l'Île-de-la-Grande-Forêt, la contournèrent et aperçurent une toute petite île, rocheuse dans une partie, boisée dans l'autre.

Ils s'y installèrent durant le mois-où-tout-fleurit. Et dès les premiers jours du mois suivant, le-mois-où-la-chaleur-arrive, on vit mères et tantes revenir de la Petite-Île-au-Duvet, entourées de leur marmaille, petites boules de duvet ondoyant au gré des vagues, tel un tapis vivant.

Mais les Goélands rôdaient. Suivant les conseils de Ciba, les petites familles se regroupèrent en vastes groupes où les unes surveillaient les jeunes pendant que les autres plongeaient pour se nourrir. De saison-des-nouvelles-vies en saison-des-nouvelles-vies, les Eiders conservèrent cette tactique et purent ainsi augmenter leur nombre.

Et à chaque fois qu'une nouvelle génération de canards quitte la Petite-Île-au-Duvet, elle passe saluer et remercier de son amitié la Tortue de pierre, qui goûte pour toujours l'embrun du Pays-Mystère et au parfum du Petit-Arbuste-aux-Fruits-Presque-Noirs. À proximité, poussent depuis ce temps de belles grandes fleurs aux longs pétales veinés de mauve, de bleu et de blanc, en forme de nageoires, comme si elles offraient leur beauté pour emblème du courage de Ciba, comme si elles s'offraient comme emblème d'un pays...

Ciba, elle, habite à jamais le Pays-Mystère, avec son vent plus enveloppant, son calme plus serein, son soleil plus éclatant, son temps plus lent, et son "secret" qui ne se révèle qu'à celui ou celle qui sait pleinement apprécier la générosité de cette nature maritime.


ciba

Quoi, vous ne voyez pas la tortue! Allez, un peu d'imagination! En plein au centre de la photo, la tête, la bouche, les yeux, les pattes avant, la carapace... C'est pourtant tellement évident... à qui sait regarder!


Petit supplément interprétatif et pédagogique

Le texte qui suit vous est suggérée comme complément scientifique et historique du conte. Il vous aidera à mieux apprécier votre prochaine visite de ce merveilleux petit paradis. Bien qu'il ait été synthétisé pour ne pas trop étirer la lecture de l'ouvrage, ses informations vous procureront une foule de renseignements sur le relief, son origine et sa toponymie, sur la flore maritime et ses habitats de prédilection ainsi que sur la faune terrestre et marine et sa répartition dans les divers milieux naturels.

Les noms de plantes et d'animaux vous sont donnés à titre indicatif; il ne s'agit évidemment que d'une mince sélection de ce que vous réserve ce pays à l'atmosphère si particulière.

Une des caractéristiques majeures du parc du Bic, sa faible taille, ne signifie en rien qu'on puisse le visiter vraiment en une seule journée! Au contraire; à cause de sa configuration géographique accidentée, il offre une multitude de petits coins naturels à explorer les uns après les autres, sans se presser, au rythme du vent, assez pour occuper agréablement plusieurs "beaux après-midi"

À vous de vérifier cette affirmation!

 

UN RELIEF AUX NOMS ORIGINAUX

Dans la toponymie officielle du parc, les formes du relief ont des noms parfois évocateurs, parfois descriptifs ou parfois légendaires mais, à coup sûr, tous aussi originaux les uns que les autres.

Parlons sommairement de l'origine de ce relief. Il a été formé par des sédiments (vase, sable ou composés divers) qui se sont superposés au fil des millénaires, solidifiés sous de colossales pressions et transformés en roche "sédimentaire" (formée de sédiments).

Après que d'extraordinaires forces terrestres aient "plié" ce relief pour façonner montagnes et collines, la mer et, dans un moindre degré, le vent ont amorcé leur lent mais inexorable travail d'érosion et de transport de sédiments, donnant naissance aux plages et tombolos. Le rongement continuel des vagues est aussi responsable de la formation des falaises, d'où la pente escarpée des montagnes du parc sur leur face maritime. Enfin, le jeu du gel et du dégel a aidé à fracturer la roche, provoquant ainsi des éboulis plus ou moins importants qui surviennent encore aujourd'hui, occasionnellement.

Il y a environ 4O OOO ans, le territoire actuel du parc ne comptait que trois petites îles, la mer étant 4OO mètres plus haute qu'aujourd'hui! Depuis, le continent s'est relevé et la mer s'est retirée; les îles d'autrefois sont devenues les sommets montagneux d'aujourd'hui. Les falaises éloignées du littoral actuel, comme celle du Pic Champlain, sont donc les témoins de l'érosion passée de la mer...

Dans l'histoire de Ciba, la formation du relief est racontée sous une forme plus imagée; c'est un conte, après tout! Il vous appartient évidemment de faire la part entre le conte et la réalité. De plus, les noms "officiels" n'ont pas été utilisés, mais il y a d'amusants rapprochements à faire. Pour vous aider un peu, voici les noms interprétés des sites que Ciba visite, croise ou aperçoit au fur et à mesure de sa progression dans le Pays-Mystère. Une carte-dépliant agrémentera sûrement votre recherche; il y en a aux postes d'accueil du parc.

Si vous êtes parents ou enseignants-es, pourquoi ne pas inviter vos jeunes à faire eux-mêmes ces rapprochements! Cela les préparera mieux à leur visite du parc, ou du moins les tiendra occupés quelques temps!

L'Île du Massacre
Facilement accessible, mais attention aux heures de marées et aux roches glissantes. Le travail de la mer y est surprenant!

Le Cap aux Corbeaux
En souvenir du lendemain du drame de l'Île du Massacre, alors que les Corbeaux tournoyaient au-dessus des corps des victimes.

La grotte de l'Île-au-Massacre
Peu avant l'arrivée de Cartier, un groupe d'Amérindiens Micmacs y auraient été piégés et massacrés.

L'Île Brûlée
Un feu l'aurait ravagée jadis. Certains l'appellent aussi Île Ronde, à cause de sa forme.

Le Cap Enragé
Le vent du nord-est, le "Nordet", y fait furieusement battre les vagues. Toute la presqu'île du Cap Enragé est une zone de préservation extrême.

Le tombolo du Cap Enragé
Un tombolo, qui relie une ancienne île au continent, est formé par l'accumulation des sédiments par la mer et le vent. Il y a plusieurs tombolos dans le parc. Repérez-les sur la carte!

Le Cap Caribou
Un Caribou y aurait été tué, alors que cette espèce était encore présente dans la région. Elle n'occupe de nos jours que le parc de la Gaspésie, le "Pays-des-Montagnes-de-Roche-et-des-Eaux-Cristallines".

L'Anse aux Bouleaux
En raison de l'abondance de bouleaux. A l'ouest du tombolo, l'Anse des pilotes servait jadis de refuge à leurs petites embarcations, par fort vent d'est.

L'Île à D'Amours
Du nom d'un ancien propriétaire. Certains l'appellent l'île aux Amours, d'après certaines rumeurs... La "flèche de sable" qui la relie au rivage à marée basse est un tombolo en formation.

Le Dos de Baleine
Petit récif à proximité de l'Île à D'Amours en forme de dos de baleine.

L'anse de la Rivière du Sud-Ouest
Cette rivière, qui arrive du sud-ouest, abrite une petite population de Saumon atlantique. La pêche y était jadis fructueuse, mais réservée à certains privilégiés.

L'Anse à l'Orignal
Voir: Cap à l'Orignal. Comme dans l'Anse des pilotes, les phoques y sont souvent nombreux.

La Pointe aux Épinettes
Les Épinettes noires y sont nombreuses.

Le récif de l'Orignal
Voir: Cap à l'Orignal.

Les anses à Wilson, à Damase et à Voilier
Du nom d'anciens propriétaires de chalets ou de leur activité préférée.

L'Ile Ronde
Elle paraît ronde, vue du sol.

L'anse à Rioux
Du nom d'un ancien cultivateur.

Le "trou" du Cap Rioux
Cavité naturelle située à mi-hauteur, dans la falaise sud du "Cap Rioux" (entre l'Anse à Rioux et l'Anse à Wilson).

Les Îlots d'Écosse et d'Angleterre
Petits îlots rocheux baptisés par les jeunes du camp de vacances. On y observe des enchevêtrements de plusieurs types de formations rocheuses.

Le Chocolat
Ainsi baptisé par les jeunes du camp, il ressemble à un chocolat "Cherry Blossom", vu du camp, c'est-à-dire de l'ouest. Mais vu du nord, du sentier des Anses par exemple, le Chocolat aurait plutôt une allure de... dinosaure couché.

Le marais salé
Riche écosystème à la flore particulière et à la faune typique situé à l'est du Chocolat.

La faille du Mont Chocolat
Bien visible de l'Anse à Rioux, elle aurait été produite par un affaissement géologique.

La petite grotte du Mont Chocolat
Facilement accessible par la plage.

L'Île aux Canards
Ses rivages sont fréquentés entre autres par les canards Eiders.

L'abris sous roche (ou grotte) du Cap Rioux
Dû à l'éboulement de blocs de roche de la falaise nord du cap. Il est accessible par l'Anse à Damase. Il vaut mieux y pénétrer avec prudence, ou avec quelqu'un qui le connaît bien.

L'Anse aux Cochons, ou Baie des Cochons
Des porcs d'un cultivateur de l'époque s'y seraient noyés.

Le tombolo de la Montagne à Michaud
Site du camp de vacances Louis-Georges Lamontagne, du nom de son fondateur, et d'un ensemble de chalets aujourd'hui disparus.

La Baie du Ha! Ha!
Nom tiré d'une légende voulant que la houle chante une berceuse à un enfant noyé dans cette baie. On dit aussi que le nom serait tiré de l'exclamation d'émerveillement de ses découvreurs.

La pinède de la Montagne à Michaud
Écosystème déconcertant peuplé exclusivement de Pin gris, la montée et le panorama en valent vraiment la peine.

L'Anse à Capelans
Les Capelans viennent y frayer au printemps.

L'Ilet au Flacon
Un pirate y aurait marqué l'emplacement d'un trésor à l'aide de tessons de flacons de verre...

Le lac à Crapauds
Aussi appelé Lac Carré, à cause de sa forme... rectangulaire!

La Montagne des Moutons
Un fermier y faisait paître ses moutons.

Les Murailles
Dû à l'aspect infranchissable de ces falaises, vues du large.

Le Pic Champlain
En honneur du passage du fondateur de Québec. Le panorama y est superbe et la montée plutôt aisée.

La Fourche à Louison
Du nom d'un habitant qui s'y serait construit une petite cabane.

L'Anse à Mouille-Cul
Les contrebandiers, venant y débarquer leur cargaison illicite, échouaient leurs chaloupes dans la baie. Lorsqu'ils sautaient à l'eau, elle leur arrivait au...

Le Cap à l'Orignal
Un Orignal poursuivi par un chasseur serait tombé de la falaise. Cap-à-l'Orignal est aussi le nom donné à l'ensemble du territoire du parc du Bic par les plus anciens.

L'Île du Bic
Autrefois protection contre les tempêtes, elle procurait aussi eau fraîche, nourriture et bois de réparation aux équipages. Comme la Bicquette, cette île est à l'extérieur des limites du parc du Bic.

L'Île Bicquette
Abrite la plus importante colonie d'Eiders à Duvet d'Amérique. Un des plus anciens phares du Saint-Laurent y est encore en opération. On voit bien cette île du Pic Champlain, ou encore du belvédère Raoul Roy, à Saint-Fabien-sur-Mer.

ET QUE DIRE DE LA FLORE...

Diversifiée dans ses couleurs, subtile dans ses parfums, particulière dans sa distribution, forte dans sa résistance aux éléments, la flore du parc regroupe les variétés habituellement rencontrées ailleurs dans des milieux semblables. Cependant, encore une fois, la faible taille du territoire et son relief varié ajoutent à la richesse de cette flore; autant de variété sur un si petit territoire, voilà une des particularités végétales du parc!

Notons également, fait presque unique, que certaines parties du parc du Bic, de par leur avancement prononcé dans la mer et leur exposition aux conditions climatiques extrêmes, renferment des espèces végétales nordiques, qui ne poussent habituellement que dans la toundra du Grand Nord. Une flore arctique-alpine en plein estuaire du Saint-Laurent, voilà une autre particularité végétale du parc!

Dans son périple, Ciba remarque ou goûte à plusieurs espèces de plantes qui, à cause d'exigences de vie assez précises, ne poussent que sous des conditions très particulières d'ensoleillement, de nature du sol, de tolérance à la salinité, de résistance aux marées, de besoin en eau douce et d'exposition au vent marin. À cause de ces préférences individuelles, toutes les plantes d'une même espèce ne seront donc présentes qu'en des endroits semblables. Voilà donc, selon leur milieu de vie habituel, le nom de ces plantes avec, entre parenthèses, quelques appellations plus populaires.

Sur les tombolos, il n'est pas rare de rencontrer le suret Genévrier commun, la populaire Airelle à feuilles étroites (Bleuet) et le succulent Fraisier de Virginie (Fraise des champs).

Sur les falaises ou rochers, on admire la tubuleuse Primevère laurentienne et l'agitée Campanule à feuilles arrondies (Clochette).

En milieu rocailleux ou caillouteux, on croise la coriace Mertensie maritime , la délicieuse Livèche écossais e (Persil de mer), la réduite Gesse maritime (Pois de mer), l'éclatante Potentille ansérine (Feuille d'argent) et, plus en retrait du littoral, la superbe Ancolie du Canada (Gants de Notre Dame) et le parfumé Rosier sauvage (Églantier).

L'élégant Élyme des sables (Foin de grève) préfère quant à lui la bordure des plages. Sur un cap rocheux, face à la mer, l'odorante Camarine noire (Raisin de Corneille) affronte les éléments.

Dans le marais salé, on retrouve plusieurs espèces différentes de solides Spartines (Foin de mer), parsemées de tendres Limonies de Nash (Lavande de mer), de symétriques Glaux maritimes (Herbe au lait) et de délectables Arroches hastées (Hallebarde). La changeante Salicorne d'Europe est présente également dans les zones dénudées, rocailleuses ou vaseuses du littoral.

Dans la zone des marées, c'est le domaine des algues. D'abord les algues brunes comme les glissants Fucus (Varech) et les longs Laminaires (Fouet). Ensuite les algues vertes comme la ressemblante Ulvée sombre (Laitue de mer). Finalement les algues rouges comme la recherchée Mousse d'Irlande (Lichen de mer). L'allongée Zostère marine (Herbe à Outardes), bien qu'elle vive dans l'eau salée comme les algues, est bel et bien une plante de type terrestre.

Notez que l'histoire de Ciba présente ces plantes tantôt en fleurs, tantôt en fruits. Il est évidemment presque impossible de retrouver ces étapes différentes de croissance en un même moment de la saison, à moins d'être... dans un conte!

La flore maritime est un des éléments dominants du parc. Ce qui ne laisse souvent que peu de place à l'appréciation de sa flore terrestre, forestière ou aquatique. Cette dernière n'en est pas moins diversifiée et intéressante mais, dans le cadre de l'histoire d'une tortue marine, il a fallu se limiter à la flore... maritime!

Mentionnons tout de même que le parc abrite un bel éventail d'écosystèmes terrestres, de la bétulaie à la cédrière, de l'érablière à la pinède, de la prairie à la pessière, en passant bien sûr par le lac et la rivière.

TANT D'OPPORTUNITÉS POUR LA CONTEMPLATION !

Contrairement aux animaux, les plantes demeurent là où elles sont lorsqu'on les approche; leur observation est donc plus facile! Il est cependant intéressant, et parfois fort utile, d'en savoir plus sur elles avant même d'aller les admirer. Il existe plusieurs publications très accessibles en librairie et en bibliothèque qui brossent une description complète des végétaux en nature. À la lecture, vous apprendrez à identifier l'habitat préféré de la plante recherchée, sa période de floraison ou de fructification, son degré de comestibilité etc. Vous serez donc mieux équipé dans votre exploration, parce que vous saurez à quoi vous attendre en arrivant en bordure de la grève, du marais etc.

Il est primordial de respecter l'intégrité de la flore du parc, parce qu'il abrite des espèces très fragiles. La cueillette de plantes est strictement interdite, peu importe l'espèce; c'est un parc de conservation, après tout! Cependant, la cueillette de fruits (ex: fraises, bleuets, mûres, groseilles) est permise, parce qu'elle ne met pas en danger la plante. Quoiqu'il en soit, il est avisé de bien s'informer auprès des autorités du parc avant de partir à l'aventure.

Et le parc du Bic, c'est bien plus encore...

UNE FAUNE À LA JONCTION DE DEUX MONDES, TERRESTRE ET MARITIME

La faune du parc est assez représentative de ce coin de pays. Dans un si petit territoire, il est intéressant de retrouver une telle diversité, grâce surtout à la rencontre des milieux terrestre et maritime. Lors d'une promenade dans le parc, les oiseaux sauront capter plus facilement notre attention mais, en étant attentif et parfois patient, on pourra admirer plusieurs mammifères.

Dans son périple, Ciba rencontre plusieurs représentants de cette faune et nous révèle un de leurs traits caractéristiques. Les voici selon leur habitat, avec entre parenthèses quelques noms populaires:

En milieu terrestre, on peut voir le criard Grand Corbeau , le nocturne Hibou moyen-duc (Chouette), le tapageur Pic chevelu , la discrète Gélinotte huppée (Perdrix), le mélancolique Pinson à gorge blanche (Petit Frédéric), la cristalline Grive solitaire et le fulgurant Faucon pèlerin . Il y a aussi le dandinant Porc-épic , le sautillant Lièvre d'Amérique , la joufflue Marmotte commune (Siffleux), l'habile Écureuil roux et le malin Renard roux . L'imposant Élan d'Amérique (Orignal) est beaucoup plus fréquent dans le Haut-Pays que dans le parc, et l'agile Caribou des bois est disparu de la région peu après le début du siècle pour se réfugier dans la Gaspésie montagneuse.

En arrivant sur le littoral, on peut croiser le chamailleur Goéland argenté , l'élancé Grand Héron , l'efficace Balbuzard (Aigle-pêcheur), le théâtral Pluvier kildir , l'acrobate Bécasseau maritime et le patient Bihoreau à couronne noire (Couac). Ajoutons plusieurs coquillages, dont le minuscule Macoma calcaire (Petite "clam"), l'agrippée Patelle (Chapeau chinois) et la coupante Balane (Petit volcan).

Plus on avance vers la mer, on aperçoit le social Eider à duvet , le symbolique Huart à collier , le sous-marin Cormoran à aigrettes et le siffleur Garrot à oeil d'or . N'oublions pas le sympathique Phoque commun et le massif Phoque gris (Loup marin).

Et en pleine mer, on remarque surtout le curieux Petit Pingouin (Gode) et le contrastant Guillemot à miroir . Sont aussi présents des poissons tels le courageux Capelan argent&eacute ;, la piquante Petite poule de mer Atlantique , la coriace Anguille d'Amérique , la tranquille Morue Atlantique , le méconnu Crapeau de mer et tout au fond des invertébrés comme la vorace Étoile de mer , le renommé Buccin commun (Bourgot), l'abondant Oursin vert , le clopinant Crabe de roche , l'étrange Pêche de mer , la filtreuse Éponge de mer , l'enfoui Couteau droit , le bizarre Concombre de mer et l'épanouie Anénome plumeuse (Oeillet de mer). Et que dire des baleines qui viennent de temps à autres près de la côte, comme le fanfaron Petit Rorqual (Gibbard) et le sympathique Béluga (Petit marsouin).

Et le parc du Bic, c'est bien plus, et bien plus encore...

ET TANT DE QUESTIONS...

Vous pouvez présenter ces animaux aux enfants d'une manière participative. Voici des questions qui vous aideront à éveiller la curiosité des jeunes et les amener à la découverte de la faune du parc.

- Que fait le Cormoran sur un rocher, les ailes ouvertes?
- Pourquoi le Hibou a-t-il deux grandes oreilles sur la tête?
- Quel type de nourriture mangent les Goélands?
- Est-ce seulement le Caribou mâle qui porte les bois?
- Pourquoi le Héron doit-il nous quitter pour l'hiver?
- Quelle est la tactique de pêche du Héron?
- Pour quelle raison le Saumon remonte-t-il sa rivière?
- Quelles sont les protections du Phoque contre l'eau glacée?
- De quelle manière le Balbuzard attrape-t-il son poisson?
- Comment le Faucon atteint-il de si grandes vitesses?
- Dans quel genre d'endroit niche le Faucon?
- Où les Huarts font-ils leur nid?
- Donnez un exemple du menu des Eiders.
- Pourquoi les Eiders regroupent-ils leurs familles?
- Que fait le Pluvier pour éloigner les intrus de son nid?
- Quels oiseaux font des acrobaties aériennes en groupe?
- Quel autre oiseau, cousin du Héron, voit-on dans le marais?
- Qu'est-ce les Porc-Épics aiment ronger?
- Que viennent faire les Capelans sur la plage?
- Donnez la forme de quelques animaux marins?
- La baleine respire-t-elle à l'aide de poumons?
- Pourquoi les baleines viennent-elles dans notre estuaire?
- Nommer une baleine qui demeure ici à l'année.
- Est-ce que les Pingouins volent?
- Nommer quatre mammifères qui vivent dans le parc.
- Où a-t-on plus de chances de rencontrer un Orignal?
- Nommer deux oiseaux chanteurs du parc.
- Où les Eiders font-ils leur nid?

Il est bon de rappeler que l'observation de ces animaux, et de tous les autres du parc, doit se faire dans le respect de leur tranquillité.

Et si la recherche dans les volumes vulgarisés ou scientifiques sur la nature marine vous intéresse, ou captive vos jeunes, ou si vous avez l'opportunité de croiser un guide-naturaliste du parc, voilà quelques suggestions de questions à se poser:

- De quelle manière une Étoile de mer mange-t-elle une moule?
- Y a-t-il des Pingouins qui nichent dans la région?
- Y a-t-il des méduses dans les eaux du parc?
- A quelle vitesse peut nager un Rorqual commun?
- Une Pêche de mer, est-ce que ça se mange?
- À quoi ressemble une Macreuse?
- De quelle manière l'Anémone capture-t-elle ses proies?
- Comment différentier le Phoque commun du Phoque gris?
- L'Oursin vert est-il carnivore ou végétarien?
- À l'automne, les Eiders migrent-ils vers le sud, ou le nord?
- Comment le Couteau droit s'enfouit-il dans la vase?